RIFKIN'S FESTIVAL

Woody Allen tourne encore (en rond)

Mort Rifkin (Wallace Shawn), critique et historien de cinéma, soupçonne sa femme Sue (Gina Gershon) de le tromper avec le jeune cinéaste français Philippe (Louis Garrel) (©The Media Pro Studio/Gravier Productions/Apollo Films)
Mort Rifkin (Wallace Shawn), critique et historien de cinéma, soupçonne sa femme Sue (Gina Gershon) de le tromper avec le jeune cinéaste français Philippe (Louis Garrel) (©The Media Pro Studio/Gravier Productions/Apollo Films)

Un peu boycotté aux États-Unis, Woody Allen continue de tourner, en Europe surtout. Son 49e film, RIFKIN'S FESTIVAL, tourné en Espagne en 2019 et dont la sortie a ensuite été victime de la crise du Covid, débarque sur les écrans français ce mercredi 13 juillet.

Covid ou mise à l'écart? Les accusations d'attouchements sexuels sur sa fille adoptive Dylan Farrow (en 1992 quand elle avait 7 ans), proférées par son ex-femme Mia Farrow, ont été relancées en 2018 avec le mouvement #MeToo et en 2021 avec un documentaire à charge. Mais le réalisateur continue de nier ces accusations et, disait-il dans une récente interview au Journal du Dimanche le 3 juillet: "je suis un auteur et personne ne peut m'empêcher d'écrire, et donc de travailler".

Françoise Sagan et Véronique Sanson

Il continue donc de tourner –mais un peu en rond. Ses détracteurs disent que ses films sont comme les romans de Françoise Sagan ou les chansons de Véronique Sanson: ils se ressemblent tous, c'est toujours la même chose…

Pas entièrement faux. Mais on continue à aimer autant Woody Allen que Véronique Sanson et Françoise Sagan. Et s'il est loin d'être son meilleur film, ce RIFKIN'S FESTIVAL porte la marque de Woody Allen, cette petite musique bien à lui et à nulle autre pareille.

Wallace Shawn, son alter ego

À 86 ans, le réalisateur a fini de faire l'acteur et de jouer les jolis cœurs à l'écran (la dernière fois c'était dans TO ROME WITH LOVE en 2012). Dans ce RIFKIN'S FESTIVAL, il laisse l'acteur Wallace Shawn, 78 ans quand même et second rôle dans une demi-douzaine de ses films depuis MANHATTAN en 1979, être son alter ego dans le film.

Wallace Shawn y interprète le rôle de Mort Rifkin, grand cinéphile, critique et professeur de cinéma, qui décide d'accompagner sa femme Sue (Gina Gershon), attachée de presse de 20 ans de moins que lui, au Festival de Saint-Sébastien. Il la soupçonne en effet d'avoir une attirance pas seulement professionnelle pour l'un de ses clients, Philippe (Louis Garrel), jeune réalisateur français pseudo-intellectuel prétentieux, venu au festival présenter son dernier film.

Rencontre avec une cardiologue

Tout en continuant de remuer sa rancœur et ses soupçons, il va connaître un bol d'air frais en rencontrant une jeune cardiologue qu'il consulte pour une douleur pectorale: le docteur Jo Rojas (Elena Anaya), qui partage avec lui de nombreux goûts et se trouve être, elle aussi, malheureuse en amour avec un peintre infidèle et au tempérament volcanique (Sergi Lopez).

Laissant sa femme et son réalisateur français baguenauder de leur côté, Mort multiplie les occasions pour revoir le Dr Rojas, qui va lui faire visiter la ville et partager des confidences avec lui…

Carte postale

Financé par des producteurs espagnols qui ont souhaité qu'il vienne tourner dans leur pays, Woody Allen a choisi de situer son film pendant le Festival de Saint-Sébastien –qui, en retour, a présenté celui-ci en ouverture de son édition de 2020.

Cela vire donc parfois à la carte postale de cette jolie ville du Pays basque et ses atouts touristiques: marchés, boutiques pittoresques, petits bars, terrasses ombragées, ruelles, belles maisons, restaurants de charme, hôtels de luxe, parcs, plage, jetée et front de mer, campagne environnante.

Summum de l'entre-soi

Woody Allen décrit aussi, non sans aigreur, les milieux intellos-mondains-chics du festival lui-même, et plus généralement ce petit monde du cinéma et de la presse qu'il connaît bien et pour lequel il n'est pas tendre –et qui fait de ce RIFKIN'S FESTIVAL le summum de l'entre-soi dans sa filmographie. Woody Allen, c'est sûr, ce n'est pas Ken Loach…

Vie de couple, amour, sexualité, mariage, fidélité, tourments du cœur et de l'esprit, création artistique, temps qui passe, interrogations existentielles: avec son humour habituel et ses dialogues cinglants, le réalisateur aborde ses thèmes habituels et, comme en pilotage automatique, tourne un peu en rond dans un scénario pas très inventif.

Hommages en noir-et-blanc

L'originalité du film, un peu facile mais touchante, réside dans les séquences en noir-et-blanc qui représentent les rêves de Mort Rifkin et qui sont autant d'hommages, sous forme de pastiches, à des films que vénère Woody Allen.

Il en a neuf: Citizen Kane et La Splendeur des Amberson d'Orson Welles, mais surtout les films européens HUIT ET DEMI de Fellini, Jules et Jim de Truffaut, Un Homme et une femme de Lelouch, Persona et Le SeptiÈme Sceau de Bergman, L’Ange exterminateur de Bunuel et À bout de souffle de Godard. Tous ces interludes sont à la fois drôles et émouvants.

On attend la suite

Même s'il se laisse regarder sans déplaisir, ce RIFKIN'S FESTIVAL ne restera pas comme l'un des meilleurs films de Woody Allen. On est loin de MANHATTAN, d'ANNIE HALL ou de LA ROSE POURPRE DU CAIRE, et même plus récemment de BLUE JASMINE, de WONDER WHEEL ou du rafraîchissant UN JOUR DE PLUIE À NEW YORK.

On attend donc la suite …et fin? Dans la même récente interview au JDD, le réalisateur annonçait le tournage de son prochain film, en septembre prochain à Paris, avec des acteurs français et un scénario "dans la veine de MATCH POINT (2005): une sorte de polar amoureux et vénéneux". Et d'ajouter que ce 50e film "sera peut-être le dernier"

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Le boulevard Saint-Michel sous la pluie, voilà ce qui me rendrait heureux" (Mort Rifkin).

 

Rifkin's Festival

(États-Unis, 1h32)

Réalisation : Woody Allen

Avec Wallace Shawn, Louis Garrel, Gina Gershon

(Sortie le 13 juillet 2022)


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