BLUE JASMINE

Une autre femme

Woody Allen dirige Cate Blanchett pour la première fois (©Mars Distribution)
Woody Allen dirige Cate Blanchett pour la première fois (©Mars Distribution)

''En vieillissant, je me suis rendu compte que, lorsque je voulais faire un film sérieux, je me tournais toujours vers les femmes. Et j'ai compris pourquoi. Les hommes sont enfermés dans leur costume de macho. La palette de leurs émotions est d'une pauvreté...''
Woody Allen, 77 ans, le plus féministe des réalisateurs? Dans cette déclaration tirée d'une interview à VSD, il résume presque ce qui fait de BLUE JASMINE l'un des meilleurs de ses 43 films: un scénario qui n'a rien d'une comédie, et une actrice au-dessus du lot.
Il s'agit ici de Cate Blanchett, sa nouvelle muse, qui prend la succession de bien d'autres avant elle, de Mia Farrow à Scarlett Johansson, de Diane Keaton à Penélope Cruz, en passant par la Gena Rowlands d'UNE AUTRE FEMME, en 1988.
Dans BLUE JASMINE, Cate Blanchett est Jeannette mais a décidé de se faire appeler Jasmine, c'est plus snob et plus élégant. Elle a rencontré Hal (Alec Baldwin) quand elle était jeune, l'a épousé, et ce riche homme d'affaires a fait d'elle une bourgeoise new-yorkaise à la vie de rêve: défilés de haute couture, bijouteries de luxe, dîners mondains, petites maisons de bord de mer et jets privés.
Mais Hal était un escroc, et quand il est jeté en prison et se suicide, tout s'écroule pour Jasmine. Sans le sou, contrainte de trouver du travail pour la première fois, veuve et déprimée, elle débarque à San Francisco chez sa demi-soeur, Ginger (Sally Hawkins). Tout le contraire d'elle: caissière, divorcée, mère de deux jeunes garçons, tatouée, le coeur sur la main, en ménage avec un garagiste qui regarde des matches de boxe à la télé avec ses copains en mangeant des pizzas et en buvant des bières.
Pas rancunière (sa soeur la snobait du temps de sa splendeur), Ginger accueille Jasmine à bras ouverts. Celle-ci pourtant ne se prive pas pour lui faire la morale et critiquer son mode de vie, son appartement, ses amis, son petit ami, sa condition sociale, son manque de culture: toutes ces choses auxquelles l'ex-bourgeoise refuse de s'habituer.
Car entre Xanax et vodkas-martinis, Jasmine vit encore dans l'espoir de retrouver son rang, de rencontrer un homme riche et intelligent, de refaire sa vie sans partir du bas de l'échelle. Entre le rêve et la réalité, entre la vie d'avant (le film est fait de flash-back) et celle d'aujourd'hui, il y a autant de distance qu'entre New York et San Francisco...
Cate Blanchett est époustouflante, toute en élégance déchue, en émotion contenue, en désespoir rageur, en fragilité habillée d'arrogance, dans ce film aux consonnances sociales (certains voient dans le personnage d'Alec Baldwin une allusion à Bernard Madoff) qui, ici ou là, porte la marque d'un humour plus désenchanté que d'habitude.
C'est que Woody Allen rigole de moins en moins, et revient donc (après une demi-douzaine de films mi-comédies mi-marivaudages en Europe: Londres, Paris, Barcelone, Rome) aux Etats-Unis pour  un portrait de femme construit sur une histoire forte, aux accents dramatiques. On n'attend pas la dernière scène, superbe, pour constater que ce BLUE JASMINE est à classer dans la partie supérieure de sa filmographie.
Jean-Michel Comte

LA PHRASE
''Si tu ne tombes pas amoureuse à San Francisco, ça n'arrivera jamais'' (une copine de Cate Blanchett lors de ses cours d'Internet).

BLUE JASMINE
(États-Unis, 1h38)
Réalisation: Woody Allen
Avec Cate Blanchett, Alec Baldwin, Sally Hawkins
(Sortie le 25.09.2013)