NOMADLAND

Sur (le bord de) la route

Pour ce rôle Frances McDormand a obtenu son 3e Oscar de meilleure actrice (©Searchlight Pictures).
Pour ce rôle Frances McDormand a obtenu son 3e Oscar de meilleure actrice (©Searchlight Pictures).

L'Amérique des laissés-pour-compte: c'est le sujet du film NOMADLAND, de la réalisatrice américaine d'origine chinoise Chloé Zhao, qui a remporté en avril les trois principaux Oscars (meilleur film, meilleure réalisation, meilleure actrice) après avoir été récompensé du Lion d'or de la Mostra de Venise en septembre dernier.

L'Oscar de la meilleure actrice, c'est pour Frances McDormand, qui interprète le rôle principal: celui de Fern, une femme de 61 ans qui subit de plein fouet l’effondrement économique de la cité ouvrière du Nevada où elle vivait depuis des décennies, et notamment de la mine de gypse qui a fermé après 88 ans d'activité, du fait de la chute des ventes de placoplâtre.

Nomade des temps modernes

Elle y a travaillé aux ressources humaines et son mari, décédé d'une maladie, était aussi employé de la mine. Fern a ensuite été caissière, puis institutrice suppléante, et elle continue à chercher du travail. Mais il n'y en a pas dans la région, alors elle décide de quitter sa maison et de prendre la route à bord de son van aménagé, pour entamer une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle.

Elle dort dans son van en plein hiver, y fait ses besoins, s'y fait à manger, écoute la radio, regarde de vieilles photos de son mari. Mais surtout, sur la route, en alignant les petits boulots d'intérim, elle va rencontrer d'autres personnes qui, comme elle, vivent en marge de la société et, soit solitaires soit en communauté, s'entraident et vont la soutenir pour qu'elle puise en elle la force et le courage nécessaires à entamer un nouveau départ…

Tiré d'un livre-enquête

C'est le troisième film de Chloé Zhao, 39 ans, après Les chansons que mes frÈres m'ont apprises (2015), dont l'action se déroulait dans une réserve indienne du Dakota du Sud, et The Rider (2017), situé dans les milieux du rodéo. Ici le film est tiré du livre-enquête Nomadland: Surviving America in the 21st Century, de la journaliste Jessica Bruder, qui s'est immergée pendant trois ans dans cette communauté des nomades et des victimes de la crise économique de 2008.

NOMADLAND est donc un film de fiction qui s'appuie sur du réel et a parfois des airs de documentaire, notamment du fait que de vrais nomades jouent leur propre rôle. Parmi eux figure Bob Wells, un vieux barbu gourou des adeptes du camping-car et de la vie minimaliste, qui a son site internet, sa chaîne YouTube et son compte Instagram.

Une histoire ancrée dans la vraie vie

Mais le film n'est pas un documentaire, c'est une histoire ancrée dans la vraie vie, comme pour les deux premiers films de Chloé Zhao. "Le pouvoir du cinéma de fiction m’a profondément bouleversée, c’est ce qui m’a inspirée et m’a poussée à faire des films à mon tour", explique la réalisatrice, qui a quitté la Chine à 15 ans pour aller étudier en Grande-Bretagne et aux États-Unis. "Mon objectif n’est pas de livrer un commentaire social sur ce que le capitalisme américain a de mauvais, cela ne m’intéresse pas. Je préfèrerais voir un documentaire sur ce sujet réalisé par quelqu’un d’autre. Ce que je voulais faire, c’était entrer dans ce monde et explorer une identité américaine unique: celle du vrai nomade. C’est sur ce terrain que je veux aller à la rencontre du public et, je l’espère, établir un lien. Un lien intime, spectateur par spectateur".

Yeux cernés, regard dans le vague, l'air hagard, triste, cheveux courts, parfois un petit sourire désenchanté: Frances McDormand, qui a remporté avec ce rôle son troisième Oscar de meilleure actrice (après FARGO en 1997 et 3 BILLBOARDS: LES PANNEAUX DE LA VENGEANCE en 2018), porte sur ses épaules une bonne partie du film. Elle y rencontre beaucoup de laissés-pour-compte de l'Amérique d'aujourd'hui: des gens qui s'entraident, des marginaux, des rejetés de la société, des abîmés de la vie, qui sont dans des situations de précarité ou dont des proches sont morts de maladie.

Tous les malheurs du monde

Le film, d'un réel intérêt documentaire, est plein de sensibilité et de compassion, animé d'humanisme, d'idées de gauche et de justice sociale. Mais il accumule tellement de sujets de réflexion qu'il finit par virer –parallèlement au parcours du personnage principal, et parfois sur des musiques mélo au piano– à un catalogue de tous les malheurs et préoccupations du monde: droit à mourir, sécurité sociale, chômage, retraite, maladie, endettement, précarité, choix d'une autre manière de vivre minimaliste et proche de la nature, entraide et vie en communauté, marginalité, solitude, vieillesse et pauvreté, Alcooliques Anonymes, famille (relations père/fils, mari/femme, frères et sœurs).

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Je ne suis pas sans-abri. Disons plutôt: sans-maison. Ce n'est pas pareil" (Frances McDormand).

 

Nomadland

(États-Unis, 1h48)

Réalisation: Chloé Zhao

Avec Frances McDormand, David Strathairn, Gay DeForest

(Sortie le 9 juin 2021)