LA TROISIÈME GUERRE

Sentinelle en question

Yasmine (Leïla Bekhti) dirige une patrouille de l'opération Sentinelle aux côtés d'Hicham (Karim Leklou, à gauche) et Léo (Anthony Bajon) (©Capricci Films).
Yasmine (Leïla Bekhti) dirige une patrouille de l'opération Sentinelle aux côtés d'Hicham (Karim Leklou, à gauche) et Léo (Anthony Bajon) (©Capricci Films).

À travers le portrait d'un jeune militaire zélé mais instable, c'est une critique et une remise en cause de l'utilité de l'opération Sentinelle qu'exprime le jeune réalisateur italien Giovanni Aloi dans son premier film, LA TROISIÈME GUERRE, sur les écrans français ce mercredi 22 septembre.

L’opération Sentinelle est un dispositif de l’armée française déployé au lendemain des attentats de janvier 2015, sur décision du président François Hollande, pour faire face à la menace terroriste sur le territoire national. Renforcée lors des attaques du 13 novembre 2015, elle est toujours en place et mobilise environ 10.000 soldats.

Chelou

Léo (Anthony Bajon) vient juste de terminer ses classes dans l'Armée de terre et pour sa première affectation, il écope d’une mission Sentinelle. Le voilà arpentant les rues de la capitale, en compagnie d'Hisham (Karim Leklou), un soldat plus aguerri et plutôt grande gueule, sous l'autorité de leur supérieure hiérarchique, Yasmine (Leïla Bekhti), sergent qui aspire à passer adjudante.

Rues, banlieues, cités, tours, métro, gares, jardins publics: dans chaque lieu ils sont sur leurs gardes, tout paquet abandonné, tout véhicule mal garé, tout individu au comportement bizarre leur paraissent suspects. "C'est chelou", disent-ils souvent, avant de vérifier si la menace est réelle ou non.

Psychologiquement instable

Mais il ne se passe pas grand-chose. Et Léo, soldat zélé qui a une haute idée de sa mission, jeune provincial qui voit en l'armée une seconde famille et un sens à sa vie, reste tendu, parfois agressif, impulsif, psychologiquement instable. Il échange en cachette des conversations avec une mystérieuse Aïcha, trouvée sur le répertoire du téléphone portable d'un petit dealer interpellé par hasard…

Ne rien faire pendant des heures

Le réalisateur Giovanni Aloi, 36 ans, dont c'est le premier long-métrage après cinq courts-métrages depuis 2009, était à Paris pendant les attentats de 2015 et a été choqué par la présence de militaires en patrouille dans les rues, fusils mitrailleurs en bandoulière. "Je les ai beaucoup observés à ne rien faire pendant des heures. Et cette inactivité m’a surpris", dit-il dans le dossier de presse.

Bien sûr, dans cette "guerre" contre le terrorisme –la "troisième guerre" mondiale–, il n'est pas convaincu par l'efficacité de l'opération Sentinelle: "Pour moi, la mise en place de dispositifs qui consistent à faire circuler nombre de gens armés dans les rues –des militaires comme des policiers– accroît davantage le danger qu’elle ne renforce la sécurité".

Antimilitarisme

"Il est devenu commun que les gouvernements entretiennent leur pouvoir par la peur et justifient ainsi la présence de l’armée dans les rues", poursuit-il. "J’ai donc eu envie de réaliser un film de guerre à Paris, en plein cœur de la ville, en 2020. Dit comme cela, ça ressemble à un synopsis de film de science-fiction mais c’est la réalité. J’ai cherché à donner une image à cette guerre, cette soi-disant «troisième guerre mondiale»".

Son antimilitarisme latent s'exprime aussi par le rôle donné au personnage féminin, "soldate sentinelle en prise avec la terrible misogynie de ce milieu très masculin", explique-t-il: la jeune femme est enceinte mais doit cacher sa grossesse pour continuer à prouver sa valeur sur le terrain et espérer monter en grade.

Personnage féminin

Ce personnage de Yasmine (Leïla Bekhti) est le seul sur lequel il pose un regard bienveillant. Les autres, jeunes soldats souvent issus de classes populaires, sont décrits de façon très naturaliste, ni sympathiques ni antipathiques, dans leur caserne mais aussi à l'extérieur, dans les boîtes de nuit ou dans leur famille lors de leurs permissions.

Aux côtés du plus âgé Hicham (Karim Leklou, vu récemment dans BAC NORD), le jeune Léo a des aspects inquiétants, un peu fêlé. Il est remarquablement interprété par le jeune acteur Anthony Bajon, 27 ans, révélé au cinéma dans LA PRIÈRE, de Cédric Kahn, dans un rôle de jeune toxicomane qui lui a valu l’Ours d'argent du meilleur acteur au Festival de Berlin en 2018. On l'a également vu récemment dans TEDDY, en jeune provincial confronté à un mystérieux loup-garou.

Tension et suspense

Et l'on se demande comment cela va finir et si Léo va craquer ou garder son sang-froid face à la menace invisible, fantôme, virtuelle. Pendant plus d'une heure, il ne se passe pas grand-chose –les soldats de Sentinelle s'ennuient et passent leur temps à "ne rien faire", c'est le propos du réalisateur–, et puis les événements se précipitent dans la dernière demi-heure, avec une tension et un suspense qui s'installent.

Ce n'est pas spoiler que de dire qu'il ne faut pas attendre de happy end de ce film d'auteur, sombre, triste, tendu, à l'épilogue déroutant. Le réalisateur en convient, qui décrit des situations de danger conséquence, à ses yeux, "de cette mentalité sécuritaire et de la présence des armes dans l’espace public". Et de conclure: "Donc, devant l’absurdité et le drame des situations telles que celle qu’on voit dans le film, j’aimerais que les gens réagissent et se demandent comment on a pu en arriver là. La TroisiÈme Guerre est un film réaliste, notre société ne mérite pas de happy end".

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Le mec qui va te planter, il n'a pas la gueule d'un mec qui va te planter" (Karim Leklou à Anthony Bajon).

 

La TroisiÈme guerre

(France, 1h30)

Réalisation: Giovanni Aloi

Avec Anthony Bajon, Karim Leklou, Leïla Bekhti

(Sortie le 22 septembre 2021)


Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion)

sur le site

We Culte!, Le Mag'Culture