L'ATTACHEMENT

Les enfants des autres

Sandra (Valeria Bruni Tedeschi), quinquagénaire célibataire, s'attache peu à peu au fils de ses voisins, Elliott (César Botti), qui vient de perdre sa mère (©Karé Productions/France-2 Cinéma/Umedia).
Sandra (Valeria Bruni Tedeschi), quinquagénaire célibataire, s'attache peu à peu au fils de ses voisins, Elliott (César Botti), qui vient de perdre sa mère (©Karé Productions/France-2 Cinéma/Umedia).

Une quinquagénaire célibataire, féministe et indépendante, construit malgré elle des liens d'amitié avec son voisin de palier veuf et ses deux jeunes enfants: c'est le rôle, touchant et fort, qu'interprète avec délicatesse Valeria Bruni Tedeschi dans le film L'ATTACHEMENT, qui sort ce mercredi 19 février.

Elle est Sandra, qui vit seule et tient une librairie spécialisée dans le féminisme. Elle tient à sa liberté, aime plutôt la solitude, a un amant régulier tous les jeudis, fume comme un pompier. Elle a une sœur qui a 5 enfants, tout l'opposé d'elle qui n'en veut pas et n'a jamais songé à fonder une famille. "Tous les nourrissons sont moches", dit-elle, mi-ironique mi-sérieuse.

Un jour, ses voisins de palier, Alex (Pio Marmaï) et Cécile, doivent se rendre à l'hôpital pour l'accouchement de cette dernière. Sandra accepte de s'occuper de leur fils Elliott (César Botti), 5 ans, pendant cette courte absence. Mais des complications surviennent lors de l'accouchement, et la mère décède en donnant naissance à une fille prénommée Lucille.

Mère de substitution

Au retour du père et de son bébé, Sandra va aider la petite famille à faire son deuil. Et, peu à peu, se prendre d'affection pour Elliott, et réciproquement. Elle lui apprend à lacer ses chaussures, discute avec lui, raconte des devinettes, s'intéresse à cet enfant alors que rien ne la prédestinait à cette attitude de mère de substitution…

"Sandra va découvrir à son corps défendant qu’il est impossible de lutter contre les liens d’attachement quand ils s’imposent à nous", explique la réalisatrice du film, Carine Tardieu. "Pour autant, il me tenait vraiment à cœur de préserver chez elle une certaine forme d’indépendance, de lui permettre de rester «libre» jusqu’au bout, que son attachement à cette famille ne soit pas sacerdotal".

Mostra de Venise

Présenté à la Mostra de Venise début septembre 2024, le film est inspiré d'un roman d'Alice Ferney, L'Intimité (Ed. Actes Sud), paru en 2020. Dans son adaptation, Carine Tardieu a donné davantage de place au personnage de Sandra: "J’aimais l’idée de faire le portrait d’une femme moderne, qui n’est pas assujettie aux diktats du patriarcat, qui revendique son indépendance, assume un célibat qu’elle ne cherche jamais à justifier, une femme relativement libre en somme, mais qui, soudain ébranlée par l’affection que lui portent un petit garçon et son beau-père endeuillés, voit ses fondements voler en éclats...", explique-t-elle. "J’aimais l’idée qu’une femme n’ayant a priori aucun attrait pour les enfants s’attache malgré elle non seulement à un homme, mais aussi, voire surtout, à sa progéniture".

Vie privée

Cette histoire fait aussi écho à la propre vie de la réalisatrice, âgée de 51 ans: "Devenir mère n’avait jamais été pour moi une préoccupation majeure, mais à 40 ans, lasse peut-être de n’avoir encore et toujours qu’à me préoccuper de moi-même, j’ai manifesté une forme de curiosité pour la maternité et, chemin faisant, suis devenue la mère d’une enfant que j’ai adoptée –seule– dans un pays étranger", raconte-t-elle.

"J’ai compris en prenant pour la première fois ma fille dans mes bras que notre rencontre ne faisait que commencer. Si mon sentiment de responsabilité a été immédiat, l’amour que je lui porte aujourd’hui n’avait rien d’une évidence. J’ai découvert que l’attachement était une construction de tous les jours, qui va croissant au fur et à mesure que ma fille et moi apprenons à nous connaître: c’est assez bouleversant!"

Acteurs impeccables

Pour cet ATTACHEMENT, elle a pu compter sur des acteurs délicieusement impeccables, au premier rang desquels on peut placer le petit garçon de 5 ans, César Botti, qui est fabuleux de naturel.

Bien sûr, c'est Valeria Bruni Tedeschi qui occupe la plus grande partie de l'histoire. Dans la peau d'un personnage complexe, elle est toujours cérébrale mais moins névrosée que dans beaucoup de ses films (comme dans LA LIGNE récemment), plus humaine et plus ouverte, toujours fragile mais optimiste. "Ce que j'aime bien chez toi, c'est que tu es tout et son contraire. Tu ris quand tu te brûles. Tu es plus indépendante qu'une chiotte de palier", lui dit à un moment le personnage d'Alex, quand ils commencent à bien se connaître.

Seconds rôles épatants

Pio Marmaï est également parfait, dans ce rôle délicat de père veuf qui apprend à élever seul son bébé. Une des belles scènes du film est son dialogue, superbe, quand il raconte à Valeria Bruni Tedeschi que sa femme ne voulait pas d'une seconde grossesse mais qu'il l'a convaincue quand même.

Et les seconds rôles sont épatants, eux aussi: Raphaël Quenard, dans le rôle du père d'Elliott qu'il a peu connu (il a rompu avec Cécile trois ans auparavant); Vimala Pons, pédiatre drôle et intelligente que rencontre Alex après son deuil; et Marie-Christine Barrault (la mère de Sandra) et Catherine Mouchet (la mère de Cécile), qu'on revoit avec plaisir dans des scènes secondaires mais importantes.

Filmographie remarquable

C'est le 5e film de Carine Tardieu, qui s'est construit peu à peu, discrètement, une filmographie remarquable. Dans LA TÊTE DE MAMAN (2007), DU VENT DANS MES MOLLETS (2012), ÔTEZ-MOI D'UN DOUTE (2017) et LES JEUNES AMANTS (2022), elle évoquait déjà la mort, l'amour pas toujours évident, les liens de parenté et de filiation, la famille recomposée, le féminisme, l'ouverture aux autres.

Dans le droit fil de sa carrière, L'ATTACHEMENT est sans doute son meilleur film, d'une grande sensibilité, avec un discours féministe par petites touches sans trop insister et des dialogues gentiment drôles, brillants –parfois un peu trop, mais c'est ce qui fait le charme du cinéma, en général, et de ce film-là en particulier.

C'est du cinéma intimiste mais pas naturaliste, qui oscille entre comédie et tragédie,

qui traîne un peu en longueur sur la fin (un nouveau film dans le film, une nouvelle histoire entre Alex et la jeune pédiatre) mais ne se veut pas un film d'auteur, intello de gauche et prise de tête: pas de fin tragique obligatoire, pas de happy end facile, un épilogue tout au plus un peu doux-amer, cet ATTACHEMENT, par son ton et ses acteurs, est un film vraiment… attachant.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Les voisins, ça peut te faire sentir horriblement seule chez toi, même quand tu adores être seule chez toi" (Valeria Bruni Tedeschi).

 

L’Attachement

(France, 1h45)

Réalisation: Carine Tardieu

Avec Valeria Bruni Tedeschi, Pio Marmaï, Vimala Pons

(Sortie le 19 février 2025)


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