Vers un avenir radieux
Si loin, si proche: l'avenir n'est plus ce qu'il était. C'est dans un Paris futuriste mais réaliste et qui ressemble à l'actuel que se déroule l'action, rythmée et haletante, du film CHIEN 51 (ce mercredi 15 octobre sur les écrans), thriller à la française qui n'a rien à envier au cinéma américain.
Dans un futur proche, donc, Paris a été divisé en 3 zones qui séparent les classes sociales: les riches et puissants sont en Zone-1 (l'île de la Cité); la classe moyenne vit en Zone-2 (les arrondissements du centre); et les pauvres, les immigrés, les délinquants croupissent en Zone-3 (les arrondissements périphériques et la proche banlieue).
Intelligence artificielle
Reconnaissance faciale, bracelets électroniques, ordinateurs et téléphones portables, fichiers numériques, checkpoints, scanners, caméras, drones: la surveillance est générale, permanente, systématique. Et les autorités politiques et policières ont comme arme le programme Alma, une intelligence artificielle qui gère tout le système.
Quand l'inventeur d'Alma est assassiné et un tueur présumé est retrouvé mort en Zone-3, un agent de sécurité de cette zone, Zem (Gilles Lellouche), et une inspectrice de la Zone-2, Salia (Adèle Exarchopoulos) sont amenés à enquêter ensemble. Tout les oppose mais ils vont vite faire équipe, y compris contre leur propre hiérarchie…
Cinéma d'action
Le film commence par une première séquence palpitante de course-poursuite entre policiers et malfrats et de fusillade, et ensuite l'action, la violence, le suspense se poursuivent: on n'a pas le temps de s'ennuyer, en près de deux heures. C'est la marque du réalisateur, Cédric Jimenez, spécialiste du cinéma d'action, qui a bénéficié d'un gros budget après le succès de ses deux précédents films, BAC NORD (2021) et NOVEMBRE (2022).
Pour la première fois (c'est son 6e film), le scénario n'est pas inspiré de faits réels mais est adapté, de manière très libre, d'un roman: le livre de Laurent Gaudé paru en 2022 aux éditions Acte Sud. Ce n'est pas tout à fait de la science-fiction, c'est un film d'anticipation, une dystopie, une histoire située dans un avenir proche et crédible. "Comme je suis très attaché à la réalité, je préfère parler de «présent augmenté» plutôt que de futurisme: j’ai essayé de ramener le film et son univers dans un réel, dans une société contemporaine, mais augmentée", dit le réalisateur.
Société actuelle
Et c'est pour lui l'occasion de décrire la société actuelle: "Prenez les checkpoints sous le périphérique: on constate déjà aujourd’hui que les gens ont de plus en plus de mal à se mélanger, il y a une polarisation des classes sociales. En matérialisant les checkpoints, on ne fait finalement qu’augmenter un constat social qui existe déjà".
De même, ajoute-t-il, "le principe du bracelet, qui peut ressembler à une menotte, est une façon de pousser la vision d’une société où on peut facilement être tracé de façon très acceptée: on achète par exemple des smartphones de notre plein gré en acceptant qu’en quelque sorte ils puissent nous emprisonner".
Réflexion politico-sociale
Ce vernis de réflexion politico-sociale ajoute un atout à un scénario de thriller par ailleurs assez simple, voire simpliste. Contrairement à BAC NORD et NOVEMBRE, où Cédric Jimenez avait été critiqué pour rendre un hommage trop appuyé aux policiers, ici la police et le pouvoir sont plutôt décrits comme totalitaires. Mais le vrai méchant de l'histoire est Alma, l'intelligence artificielle qui outrepasse ses fonctions et devient un vrai danger, échappant en partie à ses créateurs.
La question de la machine qui prend le pas sur l'homme a souvent été évoquée dans les films américains de science-fiction (de 2001: L'ODYSSÉE DE L'ESPACE à BLADE RUNNER en passant par les MINORITY REPORT et autres ALIEN), et le cinéma français s'y met peu à peu: dans le récent DALLOWAY de Yann Gozlan, une intelligence artificielle se nourrit des pensées d'une écrivaine, interprétée par Cécile de France.
Peu de temps morts
Ces réflexions existentielles n'empêchent pas de profiter, avec CHIEN 51, d'un film d'action rondement mené, dans un Paris et sa banlieue à la fois futuristes et bien réels (quais, tunnels, terrains vagues, hangars, quartiers louches, couloirs de métro désaffectés). À coups de plans-séquences et de scènes percutantes, le film est très compact, avec peu de temps morts –à part quelques scènes d'intimité entre Gilles Lellouche et Adèle Exarchopoulos, qui se rapprochent inexorablement (comme leur duo, seuls tous les deux dans un karaoké géant et futuriste où ils chantent le tube What's Up du groupe 4 Non Blondes).
Outre son couple vedette, CHIEN 51 est doté d'une riche distribution, avec Louis Garrel en chef des rebelles clandestins appelant à l'insurrection, Romain Duris en ministre de l'Intérieur dépassé par l'intelligence artificielle, Artus en chef sévère mais bienveillant de Gilles Lellouche, et Valeria Bruni Tedeschi en médecin humaniste qui s'occupe des pauvres de la Zone-3.
Il y a bien sûr une histoire d'amour entre Adèle Exarchopoulos, énergique mais fausse pète-sec, et Gilles Lellouche, bourru mais faux simplet. Le film manque juste un peu d'humour, qu'on pourrait dénicher (au second degré) dans les styles capillaires des deux héros: la première a la coupe de Mireille Mathieu, le second fait penser aux paroles "Je me ferais teindre en blonde" d'Edith Piaf. L'avenir n'est plus ce qu'il était.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"La pauvreté, ça n'explique pas tout. Je plaisante" (Adèle Exarchopoulos à Gilles Lellouche).
(France/Belgique, 1h45)
Réalisation: Cédric Jimenez
Avec Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel
(Sortie le 15 octobre 2025)
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