Triangle amoureux infernal
Le mari, la femme, l'amant: cet universel triangle amoureux a donné lieu à des centaines de livres, pièces ou films, du vaudeville au thriller. Pour son dernier film AMANTS, sur les écrans ce mercredi 17 novembre, Nicole Garcia a choisi une histoire à suspense et une atmosphère pesante pour raconter les affres de la passion ravageant trois personnages.
Trois personnages mais aussi trois actes et trois lieux qui découpent le film. Le premier tiers se déroule à Paris où deux jeunes adultes, Lisa (Stacy Martin) et Simon (Pierre Niney) s’aiment passionnément depuis leur adolescence et mènent la vie urbaine et nocturne des gens de leur âge.
Overdose
Lisa fait l'école hôtelière et Simon est dealer de cocaïne dans les beaux quartiers. Un soir, alors qu'ils dînent chez lui, l'un des riches clients de Simon meurt d'une overdose. Pour éviter la prison, Simon décide de fuir mais en laissant Lisa à Paris, qui reste sans nouvelles de lui.
Deuxième acte, deuxième lieu: trois ans plus tard, sur l'Île Maurice. Lisa est en vacances avec son mari Léo (Benoît Magimel), plus âgé qu'elle, qui a fait fortune dans les assurances et lui permet de mener une vie aisée à Genève, où ils habitent une grande villa avec jardin. Tous deux veulent adopter un enfant.
Passion pas morte
Un jour, dans l'hôtel de luxe où ils résident, Lisa aperçoit Simon, qui est employé de l'hôtel. Ils se revoient sur la plage, il semble plus ému qu'elle, il a du mal à s'excuser de l'avoir abandonnée. Mais entre eux la passion n'est pas morte, ils redeviennent amants.
Troisième acte du film, et troisième lieu: Genève. Simon a décidé de continuer à voir Lisa. Le mari, Léo, n'est toujours pas au courant de cette liaison. Mais jusqu'à quand?...
Film noir
En préparant le film et en travaillant le scénario, "on pouvait accrocher ce récit au film noir, au thriller", explique Nicole Garcia. "C’est un genre qui m’attire depuis longtemps. Pour ses ambiances, sa caractérisation des personnages, peut-être un autre rapport affectif avec eux à découvrir".
C'est son 9e film comme réalisatrice depuis UN WEEK-END SUR DEUX en 1990 (le dernier était MAL DE PIERRES en 2016, avec Marion Cotillard). Elle s'est toujours attachée à fouiller dans la vie sentimentale et familiale de ses personnages, à décrire les tourments sentimentaux et les excès de la passion, à scruter les conflits intérieurs, à raconter les amours impossibles ou difficiles ou mises à mal.
Exercice de style
Mais ici elle se confronte pour la première fois au film noir, avec un dernier tiers où flotte (enfin) le suspense. La force que prend alors le film est tardive: pendant plus d'une heure le rythme est lent, les longueurs s'accumulent, les personnages s'engluent dans des situations banales. Et la réalisatrice semble avoir privilégié la forme au fond, s'offrant un exercice de style avec une atmosphère angoissante et un aspect esthétique soigné plutôt que de donner davantage de corps à son histoire, voire à ses personnages. À la fin, on se dit: tout ça pour ça?
La jeune actrice franco-britannique Stacy Martin (découverte en 2014 dans NYMPHOMANIAC de Lars von Trier et remarquée notamment en 2017 dans LE REDOUTABLE), interprète cette Lisa ambiguë mais sans surprise, personnage central du trio amoureux, coincée dans un dilemme entre passion et raison.
Revenir en arrière
"Va-t-elle revivre cet amour fou, intact en elle, «peser» le confort du luxe et de l’argent? Peut-elle revenir en arrière, ou veut-elle tout posséder, comme le choc des contraires, si loin du détachement qu’on lui prêtait au début du film? Est-elle la proie de ces deux hommes ou cherche-t-elle confusément à s’éloigner de leur emprise?", explique Nicole Garcia.
Pierre Niney, à la carrière déjà bien fournie (et vu récemment dans BOÎTE NOIRE), manque ici un peu d'épaisseur, dans un rôle là aussi sans aspérité. Et c'est finalement le troisième élément du trio, le mari Léo superbement interprété par Benoît Magimel, qui suscite le plus d'intérêt, même si c'est celui des trois qu'on voit le moins.
Le monde de l'argent
Plus âgé, plus brusque, plus riche, plus puissant mais aussi plus fragile et plus secret, il symbolise le monde de l'argent et le pouvoir des riches dans cette opposition entre classes sociales que veut décrire Nicole Garcia: le jeune amant d'un côté, qui multiplie les petits boulots après avoir renoncé au trafic de drogue, et le mari de l'autre, installé et prospère, sans soucis financiers. Comme un balancier, Lisa va et vient de l'un à l'autre.
Au-delà de l'ambiance de thriller, ce contexte social, autre intérêt du film, est la manière dont la réalisatrice a voulu peindre le monde d'aujourd'hui: "Dur, et même âpre, oui. Le film commence dans la vie urbaine et nocturne des jeunes gens d’aujourd’hui où l’argent circule vite et froidement. Puis d’autres mondes se dévoilent, d’autres pesanteurs sociales. D’autres barrières qui deviendront humiliantes quand l’un des deux amants aura tourné le dos au camp qui est le sien. Autant dans les rapports sociaux, qui deviennent de plus en plus tranchés et cadenassés, que dans les plus intimes, on est tous blessés par cette âpreté du monde où l’on ne joue plus sans s’abîmer. C’est, je crois, ce que le film veut dire sur notre présent".
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Je ne veux pas le perdre" (Lisa à Simon, en parlant de Léo).
(France, 1h42)
Réalisation: Nicole Garcia
Avec Pierre Niney, Stacy Martin, Benoît Magimel
(Sortie le 17 novembre 2021)
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