Les mains propres dans le fioul
On est en 1981, "most violent year", l’année la plus violente que New York ait jamais connue en matière de criminalité. Abel Morales (Oscar Isaac), un immigré ambitieux, qui croit au
rêve américain et aux vertus de l'effort et du travail, a réussi à développer sa petite entreprise de livraison de fioul qu'il a rachetée au père de sa femme, Anna (Jessica Chastain).
Mais ses camions-citernes sont régulièrement attaqués et leur contenu volé par des inconnus. Ses chauffeurs sont victimes de violences. Lui-même, sa femme et leurs deux filles sont l'objet
d'intimidation. Dans cette industrie, dans cette ville, cette année-là, c'est la loi de la jungle, la criminalité, la corruption, la mafia.
Abel Morales soupçonne ses concurrents d'essayer de le ruiner. La police a ouvert une enquête sur lui et sur son entreprise. Le jour de l'anniversaire de l'une de ses filles, les policiers
perquisitionnent sa maison.
"Ayez un peu de fierté: arrêtez cela", dit-il à ses concurrents, lors d'une réunion. Face à toutes ces attaques, il veut cependant rester intègre, s'enrichir en toute honnêteté, refuse
d'employer les méthodes de ses adversaires. Mais pourra-t-il tenir, aller jusqu'au bout, garder cette ligne de conduite?...
"Avec le personnage d’Abel Morales, j’ai eu envie de m’intéresser à l’individualisme forcené et au besoin d’autonomie financière", explique le réalisateur J.C. Chandor, dont A MOST VIOLENT YEAR est
le troisième film, très différent des deux premiers: MARGIN CALL (2011), qui racontait la nuit d'un groupe
de traders de Wall Street précédant le crash financier des subprimes, et ALL IS LOST
(2013), film sans dialogues et avec un seul acteur, Robert Redford, luttant pour sa survie à bord de son petit voilier perdu en plein océan.
"Je crois profondément que pour réussir aux États-Unis, il y a des choses qu’on peut faire et d’autres pas. A MOST VIOLENT YEAR explore les limites de la mobilité sociale, tandis qu’Abel
gravit les échelons qui le mènent vers la réussite", ajoute-t-il.
Influencé par les films de Sidney Lumet qui avaient souvent comme décor le New York des années 80, le réalisateur a su recréer l'atmosphère de cette époque, dans un film à la mise en scène très
maîtrisée, brillante mais pas bling-bling, au rythme parfois lent, aux rebondissements pas toujours décisifs, au climat et à l'atmosphère sombres, aux décors travaillés: ruines, entrepôts
désaffectés, terrains vagues, voies ferrées, tunnels, bâtiments préfabriqués...
Il y a du suspense –avec une formidable course-poursuite de plusieurs minutes entre la voiture d'Abel Morales et un camion-citerne qu'on vient de lui voler–, mais ce n'est pas seulement un film
d'action, c'est le portrait d'un self-made-man qui lutte pour rester dans le droit chemin, aux côtés de sa femme qui s'embarrasse de moins de préjugés.
"Abel me fait penser à un pacifiste à une époque où New York ressemblait au Far West", dit à propos de son personnage Oscar Isaac, remarqué l'an dernier dans INSIDE LLEWYN DAVIS, des frères Coen. "Pour moi, il s’agit d’un homme d’honneur qui recèle
quelques zones d’ombre, (...) un type qui rêve d’appartenir à une société capitaliste, qui aspire à mener la belle vie, et qui résiste à son impulsion d’avoir recours à la violence pour arriver
plus vite à faire fortune".
A ses côtés, Jessica Chastain (nommée aux Oscars l'an
dernier pour ZERO DARK THIRTY) a un rôle intéressant: fille de truand aux décolletés sexy, elle s'occupe de la comptabilité de l'entreprise de son mari, qu'elle aide par tous les moyens –pas
toujours licites, contrairement à lui. Une scène résume son caractère, quand elle et lui heurtent un cerf, un soir, avec leur voiture, en pleine forêt. On ne vous raconte pas.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Ayez un peu de fierté: arrêtez cela" (Oscar Isaac, à ses concurrents qu'il soupçonne de le voler).
A MOST VIOLENT YEAR
(États-Unis, 2h05)
Réalisation: J. C. Chandor
Avec Oscar Isaac, Jessica Chastain, Albert Brooks
(Sortie le 31 décembre 2014)