THE SALVATION

Western smorrebrod

Eric Cantona et ses copains les méchants cow-boys (©Joe Alblas)
Eric Cantona et ses copains les méchants cow-boys (©Joe Alblas)

Dans les années 60, Sergio Leone et les Italiens avaient inventé le western spaghetti. Voici le western smorrebrod (euh, c’est le plat national danois).
’’Depuis que je suis petit, j’ai toujours aimé les westerns’’, déclare avec audace et originalité Kristian Levring, le réalisateur danois du film THE SALVATION, qu’il qualifie avec hardiesse et singularité d’’’hommage au western classique américain’’.
Dans les plaines désertiques du Far West, en 1871, Jon et son frère Peter, anciens soldats de l’armée danoise, sont venus mener une nouvelle existence. Ils sont installés depuis sept ans dans une ferme à une heure de cheval de la petite ville de Black Creek, où on les connaît et les apprécie.
Quand il va chercher à la gare sa jeune femme et son fils de 10 ans, qui le rejoignent enfin après toutes ces années, Jon pense que cette nouvelle vie va encore être meilleure.
Mais, dans la diligence qui la conduit à Black Creek en pleine nuit, la petite famille est agressée par deux cow-boys répugnants. Jon est poussé dehors.
Quand, après plusieurs heures de marche, il retrouve la diligence, c’est pour constater que sa femme a été violée puis tuée, ainsi que son fils. Les deux violeurs-assassins sont toujours dans les parages. Il les abat, avant de rentrer chez lui en emportant les corps de sa femme et de son fils.
Il ignore que l’un des deux assassins qu’il a tués est le frère de Delarue, un chef de gang tout-puissant qui impose sa loi à Black Creek. ’’Vous avez jusqu’à midi pour retrouver le coupable’’, dit celui-ci au maire et au shérif de la ville, sous peine de représailles.
La lâcheté, la peur et le déshonneur vont guider les habitants de la petite ville, laissant Jon et son frère seuls contre tous…
Plus cow-boys que n’importe quel Américain, les acteurs danois Mads Mikkelsen (Jon) et suédois Mikael Persbrandt (son frère) font ici un joli concours de belles tronches. Mais l’Américain Jeffrey Dean Morgan, aux faux airs de Javier Bardem, n’est pas mal non plus dans le rôle du très, très méchant Delarue.
Il y a aussi Eva Green, qu’on retrouvera un peu moins habillée (quoique) prochainement dans SIN CITY-2, dont l’affiche sur laquelle elle figure a déjà beaucoup fait parler. Ici, son personnage (Madelaine, belle-sœur de Delarue, enfin veuve) ne parle pas puisque les Indiens lui ont coupé la langue quand elle était enfant pour l’empêcher de hurler devant le massacre de ses parents…
Eric Cantona fait aussi quelques apparitions, dans le rôle du Corse, un des hommes de main de Delarue. Son jeu d’acteur se limite d’abord à froncer les sourcils et à serrer les lèvres, avant qu’il ne se montre lui aussi très méchant à l’égard de Jon et très entreprenant à l’égard de Madelaine.
La conquête de l’Ouest n’est pas l’exclusivité des Américains mais concerne aussi les Européens, argumente le réalisateur danois: ’’La majorité des personnes qui ont survécu au Far West étaient des immigrants européens. Ces personnes avaient fui la guerre ou la pauvreté dans l’espoir d’une vie meilleure. L’histoire du Far West fait donc partie de notre histoire, celle de ceux pour qui les perspectives d’une vie meilleure en Europe avaient disparu, de tous ces déracinés qui ont donné naissance à une nation’’.
Présenté hors-compétition au dernier Festival de Cannes THE SALVATION est le quatrième film de Kristian Levring qui, en 1995, avait adhéré au ’’Dogme-95’’ de ses compatriotes Lars von Trier et Thomas Winterberg. A l’époque (ça n’a duré qu’une dizaine d’années), ce petit groupe de réalisateurs purs et durs militait pour le tournage en prise directe, sans effets spéciaux, flashbacks, décors artificiels ou musique additionnelle, et s’interdisait tout ’’film de genre’’ et toute représentation de meurtres ou d’armes.
Les temps changent. On est bien loin du ’’Dogme-95’’ avec THE SALVATION, ses ralentis, ses images floues, sa musique de générique, ses grands espaces sous le soleil ou sous la pluie, ses trains et ses diligences, ses dizaines de fusillades mortelles, ses poursuites à cheval, ses bâtiments et magasins en bois, ses décolletés d’Eva Green et ses méchants cow-boys: tous les ingrédients d’un western réussi, plus vrai que nature, violent, sombre et rythmé. Danois, mais western.
Jean-Michel Comte

LA PHRASE
’’Il faut savoir sacrifier une brebis pour sauver les autres’’ (le shérif, exprimant la lâcheté du village au début du film).

THE SALVATION
(Danemark, 1h32)
Réalisation: Kristian Levring
Avec Mads Mikkelsen, Eva Green, Jeffrey Dean Morgan
(Sortie le 27.08.2014)