SI LE VENT TOMBE

L'aéroport sans avion

Alain (Grégoire Colin), expert international chargé d'examiner la viabilité de l'aéroport, doit s'expliquer avec les soldats du Haut-Karabagh (©Arizona Distribution).
Alain (Grégoire Colin), expert international chargé d'examiner la viabilité de l'aéroport, doit s'expliquer avec les soldats du Haut-Karabagh (©Arizona Distribution).

C'est un aéroport comme les autres, moderne et fonctionnel, avec du personnel qui y travaille chaque jour. Mais il n'y a aucun passager, aucun avion qui y atterrit ou en décolle. Le seul aéroport du Haut-Karabagh, enclave arménienne en Azerbaïdjan, est le sujet du film SI LE VENT TOMBE, de la réalisatrice arménienne Nora Martirosyan.

Le film est interprété par des comédiens arméniens mais le rôle principal y est tenu par un acteur français, Grégoire Colin. Il joue le rôle d'Alain, un auditeur international envoyé en mission pour déterminer si l'aéroport est apte à ouvrir et à fonctionner normalement.

Aéroport moderne mais désert

Il arrive sur place en taxi, endormi sur la banquette arrière, par la seule route qui mène à la capitale, Stepanakert, et à l'aéroport, ouvert mais désert. Huit heures de route, de nuit puis de jour, dans un paysage de carte postale triste.

Des soldats l'attendent à son arrivée. Il vient "pour l'aéroport", leur explique-t-il. Une des premières choses qu'il remarque est un gamin d'une dizaine d'années qui, sur les pistes désertes, transporte deux bidons d'eau.

Comme un avion sans ailes

Alain va rencontrer le directeur de l'aéroport, qui lui explique que tout fonctionne bien mais qu'à cause de la proximité de la frontière, les avions qui voudraient atterrir ne peuvent faire demi-tour.

Il va rencontrer aussi une journaliste, un ancien soldat aveugle et ermite, un chauffeur de taxi dont la femme attend un enfant, d'autres soldats, d'autres habitants dans la ville et ses alentours. L'expert international découvre un monde nouveau et ses habitants, repliés sur eux-mêmes mais plein d'espoir d'ouverture…

 Festival de Cannes 2020

SI LE VENT TOMBE, sélectionné pour le Festival de Cannes 2020 annulé pour cause de covid, est le premier long métrage de Nora Martirosyan, 47 ans, qui est née et a vécu en Arménie pendant 23 ans, a réalisé plusieurs courts métrages et est maintenant installée en France, où elle enseigne le cinéma et la vidéo (depuis 2015 à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux).

Elle a mûri ce projet de film pendant une dizaine d'années, multipliant les allers-retours dans cette région du Haut-Karabagh (ou Nagorny Karabakh ou Artsakh), république autoproclamée mais reconnue par aucun pays membre de l'ONU.

Lutte pour l'indépendance depuis 1991

Grande comme l'Île-de-France, peuplée de 150.000 habitants arméniens et chrétiens, cette région est enclavée depuis 1921 dans l’Azerbaïdjan, à la population musulmane. Depuis la dislocation de l'Union soviétique en 1991 et l'indépendance de l'Arménie et de l’Azerbaïdjan, deux anciennes républiques de l'URSS, le Haut-Karabagh –sa population, sa capitale, sa constitution, son administration, son gouvernement, son économie…– lutte pour son indépendance ou son rattachement à l'Arménie.

Peu après son indépendance autoproclamée en 1991, la région, soutenue par l'Arménie, a subi trois ans de guerre avec l'Azerbaïdjan qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts et s'est conclue par un cessez-le-feu en mai 1994. Mais en septembre 2020, l'Azerbaïdjan a lancé une guerre éclair, qui a duré six semaines et s'est soldée par une  défaite cuisante du Haut-Karabagh, qui a perdu une grande partie de son territoire.

Réalité et fiction

C'est avant ces combats de l'automne 2020 que Nora Martirosyan et son équipe ont tourné le film, qu'elle préparait depuis longtemps. "La première fois que j’ai visité cet aéroport, j’ai trouvé extraordinaire de voir les employés prendre leur poste tous les matins en mimant «une vie d’aéroport», comme s’ils croyaient à une fiction. C’est la croyance de toute une population qui rêve d’être reconnue un jour", explique-t-elle.

"On arrive à l’aéroport, par la seule et longue route qui permet d’entrer au pays.

Cet aéroport, réhabilité après la guerre des années 90 techniquement en état

de marche depuis des années, attend désespérément le retour des avions, qui

dans ce contexte géopolitique complexe ne peuvent ni décoller, ni atterrir.

Dans ce lieu «surréaliste», un aéroport sans avion, la réalité se métamorphose

en fiction", ajoute-t-elle. "Cette fiction à laquelle croit, ou fait semblant de croire, presque tout le pays, prend la dimension de «cause nationale»: elle est au coeur de mon film".

Film sensible

Le film est à cheval entre documentaire et fiction, avec des personnages attachants, un rythme lent sur une musique sombre, grave, parfois angoissante. L'auditeur international, au fil des jours, ne peut rester insensible à ce désir de reconnaissance d'une population enclavée. C'est un film sensible, à l'image de la fin, sobre, métaphorique et pleine d'espoir.

"J’aime bien l’idée que les spectateurs se demandent si cette république existe bien et qu’ils entreprennent des recherches sur le sujet", dit la réalisatrice. "Dans ce pays du bout du monde, une guerre très violente a eu lieu en même temps que celle en Yougoslavie, ce qui a eu pour conséquence de l’éclipser. Personne ne parle de cet endroit et si mon film permet de le faire, je m’en réjouis".

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"C'est ce qu'on appelle vivre sur un volcan. On ne sait jamais quand il va se réveiller" (le directeur de l'aéroport).

 

SI LE VENT TOMBE

("Should the Wind Fall") (Arménie, 1h40)

Réalisation: Nora Martirosyan

Avec Grégoire Colin, Hayk Bakhryan, Arman Navasardyan

(Sortie le 26 mai 2021)