PRESQUE

Leçon d'optimisme

Igor (Alexandre Jollien, à gauche) et Louis (Bernard Campan), deux hommes très différents, se rencontrent par hasard et vont devenir amis (©Apollo Films).
Igor (Alexandre Jollien, à gauche) et Louis (Bernard Campan), deux hommes très différents, se rencontrent par hasard et vont devenir amis (©Apollo Films).

Amis depuis presque deux décennies, Bernard Campan et Alexandre Jollien donnent une jolie leçon d'optimisme dans le film qu'ils co-réalisent et interprètent, PRESQUE (ce mercredi 26 janvier sur les écrans). Ils y parlent de l'amitié, du handicap, du regard des autres et de la philosophie qui, comme chacun sait depuis Montaigne, est la meilleure façon d'apprendre à mourir.

Bernard Campan fut pendant des années l'un des piliers du trio des Inconnus avant de devenir réalisateur et acteur. Il a co-réalisé avec Didier Bourdon quatre films mettant en scène les Inconnus, mais c'est ici son deuxième film de réalisateur solo après LA FACE CACHÉE en 2007, pour le scénario duquel il avait d'ailleurs demandé conseil à Alexandre Jollien.

Celui-ci est un philosophe et écrivain suisse né infirme moteur cérébral à cause d'un étranglement par le cordon ombilical lors de sa naissance. Marié, père de trois enfants, il a écrit de nombreux livres, a étudié en Irlande, a vécu en Corée du Sud avec sa famille et est devenu l'un des spécialistes de la philosophie grecque.

Tricycle

Il fait ses débuts au cinéma dans PRESQUE, interprétant Igor, handicapé de 37 ans qui habite Lausanne et gagne sa vie en livrant, en tricycle, des paniers de fruits et légumes bios. Il peut faire du vélo, marcher, monter les escaliers, faire la cuisine, manger seul: il est autonome mais sa démarche et son élocution le rangent dans la catégorie des handicapés.

Il est tout sauf débile. Il lit et cite les philosophes (Nietzche, Epicure, Montaigne, Spinoza) dont il écoute les textes dans son casque. Il rend régulièrement visite à sa mère, qui voudrait qu'il fonde un foyer car elle le trouve trop timide et trop solitaire.

Solitude

Un jour, il est renversé sur la route par Louis (Bernard Campan), 58 ans, directeur d'une société de pompes funèbres. Divorcé, ne s'intéressant qu'à son travail, désabusé chronique et peu envahi par la joie de vivre, Louis s'ouvre peu aux autres et sa vie privée reste engluée elle aussi dans la solitude.

Après avoir renversé Igor, légèrement blessé au coude, il le conduit à l'hôpital puis prend congé de lui. Pour le remercier, Igor passe quelques jours plus tard à son magasin de pompes funèbres pour lui offrir un ananas.

Corbillard

C'est là que, dans le garage de la boutique, Igor s'introduit en catimini et s'endort à l'arrière d'un corbillard, à côté d'un cercueil dans lequel repose le corps d'une vieille dame décédée. Au petit matin, Louis prend le volant du corbillard pour aller livrer la dépouille mortelle à Montpellier.

Ce n'est qu'au bout de 150 kilomètres, à une station-service, qu'Igor se réveille et que Louis s'aperçoit de sa présence, à l'arrière du corbillard. C'est le début d'un voyage pas comme les autres entre ces deux inconnus qui vont devenir amis…

Amis depuis 18 ans

Bernard Campan a fait connaissance d'Alexandre Jollien il y a 18 ans après l'avoir vu à la télévision parler de son handicap. "Il racontait l’histoire d’une personne qui va voir Diogène et qui lui demande comment il faut faire pour être philosophe. Diogène lui répond: «si tu veux  être philosophe, tu prends un hareng et tu le traînes derrière toi en traversant la ville d’Athènes». Et Alex avait ajouté: «l’avantage, c’est que le hareng je le traîne toujours avec moi!». Il parlait du regard de l’autre et comment assumer ce regard. Ça m’avait bouleversé".

Depuis, ils sont devenus amis et ont décidé récemment de faire un film ensemble, où il est bien sûr question du regard de l'autre et de la place des handicapés dans la vie quotidienne. "Le regard d'autrui, on s'en branle!", hurlent vers la fin du film les deux personnages, hilares et joyeux, en passant devant des badauds interdits.

Ouverture aux autres

Mais, au-delà du handicap, le film parle d'amitié, d'ouverture aux autres et de volonté de profiter de la vie. "Il n’y a rien de fatal dans la vie", dit Alexandre Jollien. "On peut s’en sortir grâce aux autres. Je trouve que cette phrase est une immense porte ouverte. Elle dit que l’on n’est pas enfermé dans une condition ou dans un sort et que, grâce à l’autre, on peut s’ouvrir".

Ainsi la rencontre –et leur bout de chemin entre Lausanne et Montpellier– entre Igor et Louis permet au premier de s'évader de l'univers clos de ses livres, et au second de s'évader de la routine de ses pompes funèbres. "Le film est un éloge du quotidien de l’existence dans une époque où on a besoin de se sentir vibrer pour exister", conclut (avec philosophie) Alexandre Jollien, acteur, co-réalisateur et co-scénariste de ce film sensible et simple, rempli de bons sentiments, dans lequel l'émotion monte dans la dernière demi-heure et qui, malgré un ton pas toujours rigolard, est une belle leçon d'optimisme.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Le plus grand voyageur n'est pas celui qui a fait 10 fois le tour du monde mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même" (Bernard Campan, citant Gandhi).

 

Presque

(France, 1h32)

Réalisation: Bernard Campan et Alexandre Jollien

Avec Bernard Campan, Alexandre Jollien, Marilyne Canto

(Sortie le 26 janvier 2022)


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