Hong Kong La La Land
Une comédie musicale et sentimentale dans une multinationale de Hong Kong, sur fond de crise économique, aux allures de critique du capitalisme à la chinoise: c'est l'été, l'occasion de se laisser tenter par l'étonnant film OFFICE, du réalisateur Johnny To, spécialiste des polars et des thrillers politico-policiers et qui ici change totalement de genre.
Hong Kong, 2008. Deux jeunes stagiaires, l'ambitieux et timide Lee Xiang et la surdouée Kat Ho diplômée de Harvard, font leurs débuts chez Jones & Sunn, une multinationale spécialisée dans l'importation de marques de luxe et sur le point d’entrer en bourse.
Kat Ho ne révèle que son prénom et cache à tout le monde qu'elle est la fille du PDG de l'entreprise, Monsieur Ho. Lee Xiang, lui, n'a pas été pistonné mais devient vite le chouchou de la directrice, Madame Chang, numéro-2 de Jones & Sunn, qui le trouve très doué et apprécie sa discrétion.
Madame Chang est depuis une vingtaine d'années la maîtresse de Monsieur Ho, dont la femme est dans le coma. Tous deux dirigent l'entreprise sans faillir, avec sous leurs ordres une douzaine de jeunes cadres ambitieux et cyniques, rompus aux techniques du nouveau capitalisme à la chinoise dont Hong Kong reste l'un des fleurons.
Lee Xiang et Kat Ho découvrent donc ce monde impitoyable de la finance, où l'on recherche toujours de nouveaux talents pour remplacer les cadres déjà en place et qui se nourrit en permanence de coucheries entre collègues, de rivalités professionnelles, de jalousies personnelles, d'irrégularités comptables et de trahisons entre dirigeants. Cerise sur le gâteau, les deux jeunes stagiaires débarquent au moment où l'entrée en bourse de Jones & Sunn est compromise par la crise économique mondiale déclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers aux États-Unis...
L'histoire en elle-même (tirée d'une pièce de Sylvia Chang, l'actrice taïwanaise qui interprète Madame Chang) n'a pas grand intérêt –y compris la romance entre les deux stagiaires–, c'est la manière de la raconter et la réalisation grandiloquente qui font de cet OFFICE un film singulier, sorti sur les écrans chinois en 2015 (après avoir été présenté au festival de Toronto) et que le distributeur Carlotta, habituellement spécialiste de DVD classiques et de VOD, a eu la bonne idée de sortir dans les salles françaises.
Le réalisateur, Johnnie To, s'est fait connaître en France par ses polars: son film ELECTION a été présenté en compétition officielle du Festival de Cannes en 2005, et en 2009 son film VENGEANCE a fait le buzz sur la Croisette puisque son acteur vedette était Johnny Hallyday, avant que Johnnie To ne fasse partie en 2011 du jury de Cannes présidé par Robert De Niro.
Ici il s'essaye à la comédie musicale, et y met les mêmes techniques impeccables de réalisation que dans ses thrillers, avec une efficacité et un second degré qui frôlent parfois le kitsch. "Écoutez, l'argent est mélodieux (...). Regardez, nous sommes l'élite sociale", chantent les employés de la multinationale, dans une sorte de parodie des chants révolutionnaires de la Chine populaire de Mao... C'est du LA LA LAND avant l'heure à la mode Hong Kong, sauf qu'ici les personnages ne rêvent pas de devenir artistes mais souhaitent réussir leur carrière et devenir les nouveaux riches de demain.
Et ce sont bien sûr lors des scènes chantées que le réalisateur dit ce qu'il pense du capitalisme et de la course au profit, des cols blancs rivés à leur portable dans le métro avant de faire la queue devant les ascenseurs de l'entreprise, des provinciaux qui ont quitté leur village pour faire fortune à la ville, des célibataires de 40 ans –hommes et femme– qui ont sacrifié leur vie sentimentale à leur vie professionnelle, des cadres qui doivent gagner le plus d'argent possible pour aider leurs vieux parents ou élever leur bébé, des chefs de service qui sont virés du jour au lendemain pour laisser la place aux plus jeunes, des dirigeants noyés dans le luxe des grands vins, des sacs de marque et des limousines...
Cela manque un peu d'humour et ne serait que banal et déjà vu si le réalisateur n'avait pas mis le paquet sur sa manière de filmer, parfois époustouflante, et surtout sur les décors, de verre et d'acier, où presque tout est transparent, comme si l'entreprise et même la ville n'étaient qu'un vaste open space: transparence des murs, parois, cloisons et portes des bureaux, de la salle de réunion, des wagons du métro à l'intérieur orange, de la salle de sport, des restaurants et des bars, des halls d'hôtels, des chambres d'hôpitaux, de la cafeteria aux meubles jaunes où l'on a disposé des bouteilles de Badoit et des bacs en verre remplis de citrons –comme dans le bar que tient Danielle Darrieux dans Les demoiselles de Rochefort.
Dans ces décors futuristes (quoique) au mobilier ultramoderne, Johhnie To fait apparaître régulièrement de grandes horloges, sorte de leitmotiv du film, y compris l'immense horloge qui tourne sur elle-même au centre de l'open space de la multinationale et que l'on voit sur l'affiche. Comme pour se moquer de cette course sans répit contre le temps dont on sait, à Hong Kong comme ailleurs, que c'est de l'argent...
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Qui peut distinguer le prédateur de la proie, entre le porc et le loup?" (dans une des chansons).
("Hua Li Shang Ban Zu") (Hong Kong, 1h59)
Réalisation: Johnnie To
Avec Chow Yun-Fat, Sylvia Chang, Eason Chan
(Sortie le 9 août 2017)