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Sara Forestier prend la parole

Mo (Redouanne Harjane) et Lila (Sara Forestier) ont du mal à communiquer, mais ils se comprennent (©Chifoumi Productions/Ad Vitam Distribution).
Mo (Redouanne Harjane) et Lila (Sara Forestier) ont du mal à communiquer, mais ils se comprennent (©Chifoumi Productions/Ad Vitam Distribution).

Bégaiement et illettrisme, deux handicaps pour le prix d'un: dans son premier film comme réalisatrice intitulé M, l'actrice Sara Forestier raconte l'histoire d'une jeune fille bègue qui ne veut pas parler et envoie donc des textos au garçon dont elle est tombée amoureuse –mais qui ne sait pas lire.

Elle interprète elle-même Lila, jeune fille orpheline de mère qui vit en banlieue avec son père (Jean-Pierre Léaud) et sa petite soeur. En classe de 1ère, bonne élève, Lila est bègue et, timide et complexée, ne veut pas parler. Elle s'exprime en écrivant sur son petit carnet, sur des bouts de papier, sur la paume de sa main.

Un jour elle rencontre Mo (Redouanne Harjane), un petit caïd plus âgé qu'elle, qui fait quelques trafics de voitures. Orphelin de père et en manque d'amour maternel dans sa jeunesse, il est renfermé et un peu brusque mais séduisant et charismatique. Lila en tombe amoureux, et lui s'intéresse à elle.

Ils se revoient, et très vite Mo comprend que Lila n'a pas la parole facile. Entre eux naît une relation dans laquelle l'un et l'autre ont du mal à s'exprimer. D'autant que Mo, illettré, ne sait pas lire et ne veut pas l'avouer à Lila qui, du coup, ne comprend pas qu'il ne réponde pas à ses textos...

César 2005 du meilleur espoir féminin pour L'ESQUIVE d'Abdellatif Kechiche et César 2011 de la meilleure actrice pour LE NOM DES GENS de Michel Leclerc, Sara Forestier réalise là son premier long métrage, après trois courts métrages de 2005 à 2009. Et le scénario, mûri pendant de longues années, est en partie autobiographique: "Je pense à ce film depuis plus de quinze ans, avant même L’ESQUIVE. À cette époque, j’avais eu une histoire d’amour avec un garçon qui était assez impressionnant, plus vieux que moi, très animal et qui avait un ascendant sur moi au point de me fasciner. Après m’être séparée de lui, j’ai appris, par un de ses amis, qu’en fait il ne savait pas lire. Il me l’avait caché tout au long de la relation. Je ne m’en étais pas aperçue, et cette révélation m’a fait comme un choc. Je me suis remémorée notre histoire et j’ai compris a posteriori beaucoup de réactions qu’il avait eues".

Elle avait songé à Adèle Exarchopoulos pour le rôle principal mais des contraintes d'agenda l'ont obligée à y renoncer et à interpréter elle-même Lila, et elle montre que ses talents d'actrice restent encore supérieurs à ses talents de réalisatrice. Mais ça viendra –elle prépare un deuxième film–, et pour un premier film ne s'en tire pas trop mal et déborde d'énergie et de sincérité, malgré quelques maladresses et une volonté d'intellectualiser les choses.

L'action se déroule dans une banlieue triste avec beaucoup de marginaux et des décors non réalistes, Lila rentre chez elle le soir au premier étage de son immeuble par la fenêtre en escaladant la gouttière, Mo cuisine des macarons et vit sur un parking désert dans un bus abandonné sur le toit duquel il a installé un hamac, il y a Jean-Pierre Léaud: on est donc dans un film d'auteur(e).

Pour le rôle de Mo, Sara Forestier a auditionné 600 jeunes hommes avant de choisir Redouanne Harjane, un artiste de stand-up actuellement en spectacle au Studio des Champs-Elysées et qui a perdu 17 kilos pour le rôle. On a une sympathie un peu retenue pour son personage car il n'est pas très gentil, mais il a des excuses: son illettrisme, son enfance sans amour, son manque d'estime personnelle, son milieu social défavorisé.

Au-delà de ces clichés, de l'image d'une banlieue difficile où la violence verbale fait partie du décor, Sara Forestier a voulu montrer qu'aucun handicap (social, intellectuel, personnel, physique) n'était irreversible et que, quelles que soient les difficultés, deux personnes pouvaient toujours parvenir à communiquer.

Et, surtout, qu'il ne fallait pas désespérer de la puissance de l'amour. Qu'est-ce qu'elle lui trouve? Elle l'aime, c'est tout. "Être amoureux vous place dans un état de présence pure, dans l’animalité, vous êtes alors plus en vie que jamais: je souhaitais que le film ressemble à une expérience amoureuse. La sensation de l’état amoureux, et d’un premier amour, qui plus est. Donc, le film devait ressembler à une première fois". On attend avec bienveillance sa deuxième fois, son deuxième film.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Parle-moi" (Redouanne Harjane à Sara Forestier, au début du film).

 

M

(France, 1h40)

Réalisation: Sara Forestier

Avec Sara Forestier, Redouanne Harjane, Jean-Pierre Léaud

(Sortie le 15 novembre 2017)