LINCOLN

Président et héros américain

Daniel Day-Lewis EST Abraham Lincoln (©20th Century Fox)
Daniel Day-Lewis EST Abraham Lincoln (©20th Century Fox)

''Nous sommes sous le regard du monde. La dignité humaine est entre nos mains'', dit Abraham Lincoln à ses ministres. L'enjeu est de taille: le 16e président des Etats-Unis d'Amérique veut abolir l'esclavage. On est en 1864, à la fin de son premier mandat, et en pleine guerre civile entre le Nord et le Sud.

LINCOLN, que Steven Spielberg préparait depuis une dizaine d'années, n'est pas à proprement parler un biopic. ''Pic'' oui, mais pas ''bio'': il ne s'agit pas ici de raconter la vie d'Abraham Lincoln, mais de se concentrer sur les quatre derniers mois de sa vie, une période charnière de l'histoire des Etats-Unis. Le président, élu en 1860 et qui a déjà signé en 1862 une proclamation d'émancipation des esclaves, veut aller plus loin et promulguer un 13e amendement à la Constitution, abolissant l'esclavage. Cela paraîtrait paradoxal aujourd'hui, mais Lincoln était Républicain et, à l'époque, ce sont les Républicains qui voulaient abolir l'esclavage et les Démocrates qui s'y opposaient.

Lincoln était tiraillé entre deux volontés: celle de faire adopter son 13e amendement et celle de mettre fin à la guerre de sécession qui avait débuté au début de son mandat. Le contexte politique faisait qu'il fallait choisir entre les deux: ''Soit l'amendement, soit la paix. Vous n'aurez pas les deux'', lui disait son secrétaire d'Etat, William Seward. ''Je ne pourrai mettre fin à cette guerre qu'une fois que nous aurons guéri de l'esclavage. Cet amendement est le remède!'', répliquait-il. L'histoire lui donnera raison: l'amendement sera adopté et la guerre cessera, une semaine avant son assassinat.

Le film de Spielberg raconte ces derniers mois d'Abraham Lincoln, les débats houleux, les machinations politiques, ses doutes, sa ténacité, ses préoccupations familiales aussi: ''Je voulais faire un film montrant combien Lincoln était un homme aux multiples facettes'', explique le réalisateur. ''C'était un homme d'Etat, un chef militaire, mais également un père, un mari et un homme sans cesse dans l'introspection''.

Pour incarner ce président de légende, Steven Spielberg a choisi Daniel Day-Lewis, en route pour un troisième Oscar du meilleur acteur après MY LEFT FOOT (1990) et THERE WILL BE BLOOD (2008). Dos voûté, chapeau haut-de-forme, yeux cernés, cheveux gris, collier de barbe, front plissé, haussements de sourcils et traits d'humour: l'acteur irlandais est parfait dans le rôle. A ses côtés, Sally Field (deux Oscars elle aussi, pour NORMA RAE en 1980 et LES SAISONS DU COEUR en 1985) est impeccable en épouse aimante et tourmentée. David Strathairn, qui joue le secrétaire d'Etat William Seward, et Tommy Lee Jones, partisan farouche de l'abolition de l'esclavage chez les Républicains, sont également des seconds rôles importants.

La guerre est peu montrée dans LINCOLN, Spielberg décrit surtout les tractations politiques et la volonté du président de parvenir à ses fins par (presque) tous les moyens pour obtenir la majorité à la Chambre des représentants et trouver les voix manquantes des députés démocrates: ''Je suis le président des Etats-Unis d'Amérique, je dispose d'immenses pouvoirs. Trouvez-moi ces voix!'', hurle-t-il à ses proches conseillers. Ainsi le film est très bavard, mais c'est une mise en scène assumée par le réalisateur: ''Mes films sont plus souvent racontés par des images que par des mots. Mais dans ce cas, les images se sont effacées derrière l'éloquence et la présence d'Abraham Lincoln''.

Rendre palpitant le suspense d'un vote de députés américains, à la fin du film, voici l'un des exploits de cette mise en scène. LINCOLN entre bien sûr dans la catégorie des films humanistes et ''sérieux'' de Spielberg, tels LA COULEUR POURPRE, EMPIRE DU SOLEIL, LA LISTE DE SCHINDLER, AMISTAD, IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN, parallèlement à ses grands films populaires de divertissement (LES DENTS DE LA MER, E.T. L'EXTRATERRESTRE, LES AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE, JURASSIC PARK, LES AVENTURES DE TINTIN, etc.). C'est le portrait, sobre et fort, d'un des héros de l'histoire américaine.

''Lincoln a dirigé notre pays à travers ses pires moments, il a permis aux idéaux de la démocratie américaine de survivre et a mis un terme à l'esclavage'', résume Spielberg. Le 16e président des Etats-Unis sera assassiné, on le sait, par un partisan sudiste dans un théâtre le 15 avril 1865, au début de son deuxième mandat, après le vote favorable au 13e amendement et la fin officielle de la guerre civile. C'est 143 ans, 6 mois et 20 jours plus tard que sera élu à la Maison Blanche, le 4 novembre 2008, le premier président noir, Barack Obama. Quelques mois plus tard celui-ci prêtera serment la main gauche posée sur la Bible qui avait servi à la prestation de serment d'Abraham Lincoln le 4 mars 1861.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

''Des choses qui sont égales à une même chose sont égales entres elles'' (Daniel Day-Lewis dans le rôle de Lincoln, citant Euclide, pour justifier l'égalité entre Blancs et Noirs).

 

LINCOLN

(Etats-Unis, 2h29)

Réalisation: Steven Spielberg

Avec Daniel Day-Lewis, Sally Field, David Strathairn, Tommy Lee Jones

(Sortie le 30 janvier 2013)