LES AMANTS PASSAGERS

Un succès tout aussi passager?

De gauche à droite: Raúl Arévalo, Carlos Areces, Javier Cámara (©Paola Ardizzoni/ Emilio Pereda)
De gauche à droite: Raúl Arévalo, Carlos Areces, Javier Cámara (©Paola Ardizzoni/ Emilio Pereda)

La presse espagnole est unanime. Au lendemain du premier week-end en salle du dernier film de Pedro Almodóvar, LES AMANTS PASSAGERS a battu le record en termes de rentabilité (et non en nombre d'entrées): presque deux millions d'euros de recettes. Par temps de crise, une somme rondelette.

Est-ce dû au battage médiatique ou à l'omniprésence du réalisateur et "des membres de son équipage" à la radio et à la télévision? Pendant les deux semaines qui ont précédé la sortie du film, sur la première chaîne de télévision espagnole, aux heures de grande écoute, un extrait de la musique du film accompagnant les premières images du générique était constamment diffusé, tel un jingle.

La bande-annonce y est aussi certainement pour beaucoup. En moins de deux minutes, nous nous surprenons à rire en voyant les trois stewards se déhancher comme des folles au rythme de I'm So Excited des Pointer Sisters.

Pedro Almodóvar nous embarque cette fois-ci dans un avion en partance de Madrid et à destination de Mexico. Quelques minutes seulement après le décollage, suite à un important problème technique, le commandant de bord se voit obligé de changer le plan de vol et de tourner en rond au-dessus de Tolède, jusqu'à obtenir l'autorisation d'atterrir à Ciudad-Real (dont l'aéroport fantôme existe bel et bien dans la réalité, dénonçant ainsi le scandale des aéroports flambant neufs aux portes définitivement fermées).

Nous sommes alors à seulement 200km de Madrid-Barajas. Le pilote (Antonio de la Torre, le mari incestueux de Pénélope Cruz dans VOLVER), décide toutefois de ne rien dire aux passagers. Un puissant sédatif est alors administré à ceux de la classe Touriste, les plongeant dans un sommeil profond pendant toute la durée du vol (soit 90 minutes).

Les quelques "privilégiés "de la classe Business connaîtront en revanche un sort bien différent. Tous les coups seront alors permis pour lutter contre cette angoisse légitime face à une mort apparemment imminente. Tous types de mélanges (alcoolisés et autres...) seront à l'honneur, permettant ainsi à ces passagers, et aux membres de l'équipage, de s'envoyer en l'air, dans une euphorie générale, oubliant un instant leur propre détresse face à l'adversité...

Dans ce film, le réalisateur change de cap. Fini le drame et la tragédie des ETREINTES BRISÉES ou de LA PIEL QUE HABITO. Retour à la comédie délirante des années 80, notamment de FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS. A une grande différence près: l'Espagne d'aujourd'hui est très loin de la Movida d'alors.

LES AMANTS PASSAGERS ont pour mission de faire oublier, le temps d'un vol, cette crise socio-politico-économique dans laquelle se trouve plongée depuis 2008 la Péninsule ibérique (également nom de la compagnie aérienne fictive du film, dont l'abréviation Pe est un hommage à l'une des muses d'Almodóvar, Pénélope Cruz, qui fait une apparition furtive au début du film, aux côtés d'Antonio Banderas, autre acteur fétiche du réalisateur).

Chercher à faire rire par les temps qui courent se révèle déjà un exploit en soi. Pedro Almodóvar y parvient-il? Oui, mais... pas toujours.

Difficile en effet de ne pas s'esclaffer face aux trois folles superbement interprétées par Raúl Arévalo, Javier Cámara et Carlos Areces (tous les trois, très connus du public espagnol, dans des registres jusque-là très différents).

Le scénario, en revanche, à l'instar de l'avion dans lequel nous nous trouvons, a malgré tout du mal à garder le cap. A trop vouloir dénoncer la situation désespérée actuelle, les clins d'oeil y sont aussi nombreux (trop peut-être) que les scandales politiques de corruption qui frappent le pays actuellement.

Almodóvar a certes trouvé une belle métaphore avec ce parallèle entre ceux qui tiennent le haut du pavé aux moeurs légères et dissolues (passagers de la classe Business, commandant de bord et équipage compris), cherchant par tous les moyens à "endormir" ceux qui se trouvent au bas de l'échelle (la classe Touriste). Certains gags, comme le téléphone à l'avant de l'avion dont le dysfonctionnement permet aux autres occupants de la cabine de suivre toute la conversation, font rire le public dans la salle.

Cela suffira-t-il à faire oublier les défaillances du scénario: une histoire somme toute légère et relativement décousue? L'atterrissage sera-t-il alors à la hauteur de ce décollage réussi?

Marie-Neige Lobera, correspondante à Madrid

 

LA PHRASE

"Nous allons tout faire pour rendre ce vol le plus agréable possible, mais ne me demandez pas comment" (Le chef de cabine, aux passagers de la classe Business).

 

LES AMANTS PASSAGERS

(''Los amantes pasajeros'') (Espagne, 1h30)

Réalisation: Pedro Almodóvar

Avec Javier Cámara, Carlos Areces, Raúl Arévalo

(Sortie le 27 mars 2013)