LE LAC AUX OIES SAUVAGES

Chasse à l'homme dans les bas-fonds chinois

En fuite, Zhou Zhenong (Hu Ge, au second plan) suit Liu Aiai (Gwei Lun Mei) près du Lac aux oies sauvages, pour se cacher (©Memento Films).
En fuite, Zhou Zhenong (Hu Ge, au second plan) suit Liu Aiai (Gwei Lun Mei) près du Lac aux oies sauvages, pour se cacher (©Memento Films).

Un chef de gang en quête de rédemption et une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté se retrouvent au coeur d’une chasse à l’homme dans le remarquable film chinois LE LAC AUX OIES SAUVAGES, qui sort sur les écrans français ce mercredi 25 décembre après avoir été présenté en compétition au dernier Festival de Cannes.

Tout commence la nuit, sous la pluie, sous un pont de béton sur le trottoir d'une gare de province, dans le bruit des voitures et des trains. Un homme, tatouage sur la main et écorchure sur la joue, apparemment traqué, est abordé par une femme, qui le prévient que celle qu'il attend ne viendra pas.

L'homme, Zhou Zhenong (Hu Ge), est le chef d'un clan qui a participé, quelques heures plus tôt, à une réunion de voleurs de motos dans les sous-sols d'un hôtel qui s'est terminée en violente bagarre générale. Après une course-poursuite à moto, il a été blessé et a accidentellement tué un policier dans une fusillade. Il est en fuite et est recherché par toutes les forces de l'ordre de la région.

La femme, Liu Aiai (Gwei Lun Mei), est une jeune prostituée appartenant à un clan allié, qui est venue pour l'avertir des dangers qui le guettent et l'aider à fuir. Tous deux vont tenter d'échapper aux policiers et aux tueurs des clans rivaux, et vont notamment trouver refuge près du Lac aux oies sauvages, vaste zone de non-droit où se croisent truands, vacanciers, trafiquants, prostituées, commerçants et moto-taxis…

C'est le quatrième film du réalisateur chinois Diao Yinan, 50 ans, remarqué par l'Ours d'or du meilleur film obtenu au Festival de Berlin 2014 pour son précédent long-métrage, BLACK COAL, film noir sur un ancien policier qui revient enquêter, cinq ans après, sur le meurtre d'un mineur dont le corps a été dispersé en plusieurs morceaux dans plusieurs raffineries de charbon de Mandchourie.

Ici aussi c'est un film noir, au suspense intense, mais qui dresse un tableau social sombre de la Chine profonde, urbaine et provinciale, et des milieux interlopes des petits truands locaux, voyous, trafiquants, prostituées. "Je m'intéresse moins à la description des contextes ou des paysages sociaux qu'à ce que dessinent le mouvement et le geste, même s'ils sont de natures différentes", explique le réalisateur. "Dans un film, j'aime juxtaposer des styles différents, en accord avec ma perception de la réalité. Je voulais que le film soit très moderne, non-psychologique, et que l'idée s'incarne avant tout par le geste et le mouvement".

Il fait preuve d'une virtuosité dans la réalisation qui allie flash-back (au début), plans-séquences, jeux de couleurs très travaillés, esthétisme dans les scènes parfois les plus simples, mélange des polars hollywoodiens des années 50 et des films d'action hong-kongais modernes.

Cela donne de superbes séquences, parfois insolites ou osées: une danse collective de villageois aux baskets lumineuses sur Rasputin de Boney M, un raid nocturne de la police dans un zoo avec éléphant et flamants roses, une boîte à musique humaine dans une tente du Lac aux oies sauvages, une fellation dans une barque en pleine nuit, des phares de motos qui surgissent en haut d'une colline au loin, des jeux d'ombres et de transparence, un chapeau blanc qui s'enfonce lentement dans l'eau, un meurtre au parapluie très gore, les deux personnages principaux en fuite qui mangent des nouilles dans un boui-boui…

Le spectateur est pris dans cette ambiance à la fois poétique et réaliste, avec beaucoup de violence et de sang qui éclabousse l'écran. Et des décors qui plongent dans cette Chine marginale (quoique): chambres d'hôtel glauques éclairées de l'extérieur par des néons roses, sous-sols, terrains vagues, ruelles sombres, bidonvilles et banlieues sales, routes de campagne en béton, chantiers déserts, usines textiles, marchés aux puces, appartements surpeuplés, escaliers d'immeuble, parkings à moto, petits restaurants de quartier, voies ferrées, gares, et ce fameux Lac aux oies sauvages avec sa plage, ses paillottes et ses "baigneuses" aux chapeaux blancs qui traquent le client –un lac qui existe réellement mais qui n'a cependant pas servi de lieu de tournage de ce film au scénario haletant et à l'esthétisme raffiné, particulièrement réussi.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"C'est une zone de non-droit" (le chef de la police, en parlant du Lac aux oies sauvages).

 

LE LAC AUX OIES SAUVAGES

("Nan Fang Che Zhan De Ju Hui") (Chine, 1h50)

Réalisation: Diao Yinan

Avec Hu Ge, Gwei Lun Mei, Liao Fan

(Sortie le 25 décembre 2019)