Des papys en perdition, pâle pastiche de VERY BAD TRIP
A eux quatre, ils ont 281 ans et six Oscars. À tour de rôles, ils ont été les rois du cinéma Made in USA, choyés, chéris, chouchoutés, et ils le sont toujours, au vu des salaires qu’Hollywood
leur paie régulièrement.
Acteurs ''bankables'' par excellence, ils sont aussi parmi les plus doués de leur génération. C’est simple: ils peuvent tout faire, tout jouer. Incarner un requin de la finance, un père de
famille, un parrain de la mafia, un entraîneur de boxe, un tueur cinglé, on peut tout leur demander, on sait que ce sera brillant, émouvant, hilarant, terrifiant. Ce sera du grand cinéma.
Mais même les plus grands peuvent se tromper. La preuve: Morgan Freeman (76 ans, 1 Oscar), Robert De Niro (70 ans, 2 Oscars), Michael Douglas (69 ans, 2 Oscars) et Kevin Kline (66 ans, 1 Oscar)
ont tous accepté de figurer en tête d’affiche de LAST VEGAS, et c’est vraiment à se demander pourquoi, tant ce film n’est qu’une énième sous-comédie de seniors, un pâle, very pâle, pastiche de
VERY BAD TRIP.
Billy (Michael Douglas), Paddy (Robert De Niro), Archie (Morgan Freeman) et Sam (Kevin Kline) se connaissent depuis une soixantaine d'années. C’est simple, ils se sont rencontrés quand ils
étaient gamins dans le quartier de Flatbush à Brooklyn et depuis, ils sont inséparables ou presque....
Alors quand Billy, le dernier célibataire de la bande, décide enfin de se marier, avec sa petite amie d’à peine trente ans, il invite ses amis à venir enterrer sa vie de garçon à Las Vegas. Et ça
tombe bien. Après quarante ans de mariage, le fidèle Sam fantasme à fond sur une virée extraconjugale, à tel point que sa femme lui a même donné une capote pour l’occasion. De son côté, Archie se
voit déjà cigare au bec devant une table de blackjack, en train d’enchaîner gain sur gain et whiskey sur whiskey, histoire d’oublier sa récente crise cardiaque.
Mais pour être au complet, ils doivent convaincre le vieux Paddy, qui dépérit en pyjama chez lui depuis la mort de sa femme, et qui en veut toujours à Billy de ne pas être venu à l’enterrement.
Au final, avec un peu de chantage affectif, il finit par accepter et les quatre papys se retrouvent sur le Strip, pour une fiesta de folie…
Seulement, de folie, il n’y a que de minuscules étincelles, et encore… A première vue, pourtant, cela se présentait bien. Quatre acteurs de génie réunis sur une idée à la VERY BAD TRIP, cette
comédie hilarante de Todd Phillips sur trois trentenaires à la recherche de leur ami, futur marié, disparu à Las Vegas au lendemain de son enterrement de vie de garçon.
Mais là où le scénario de VERY BAD TRIP regorgeait d’ingéniosité en termes de gags, dialogues et rebondissements, LAST VEGAS n’est qu’une comédie pépère sur quatre vieux gars en goguette, dont
les excès se limitent à boire des cocktails fluos, à regarder les fesses des filles, et à faire des blagues de prostate.
Pas de scène de nu, pas de dialogue osé, pas de prise de risque: tourné par un réalisateur de nanars, Jon Turtletaub (BENJAMIN
GATES ET LE LIVRE DES SECRETS) sur un scénario très plan-plan de Dan Fogelman (CRAZY, STUPID, LOVE) et d’Adam Brooks (BRIDGET JONES: L’ÂGE DE RAISON), LAST VEGAS est la comédie en charentaises,
politiquement correcte jusqu’à la moëlle, téléphonée jusqu’au moindre gag.
A croire que les scénaristes ont oublié que le public-cible potentiel du film --quinquagénaires, sexagénaires, septuagénaires et autres ''seniors''- a été jeune un jour. Qu’avant d’être des
grands-pères honorables, leurs spectateurs ont fait la fête comme des fous, couché avec des filles, fumé des joints, pris des drogues, et vomi après de monumentales cuites. Qu’avant d’être de
gentils messieurs respectables, ils ont fait des blagues salaces, ri de plaisanteries potaches et rêvé de faire les 400 coups comme les copains un peu crétins de VERY BAD TRIP.
Alors, faute d'un minimum de fantaisie, écrasé par la bienséance et la pudibonderie, le film se traîne, et notre quatuor d’acteurs s’ennuie, même s'il donne le change avec quelques pirouettes
pour faire passer la pilule. Et il est à craindre que le public, qu’il soit jeune, adulte ou senior, ne s’y trompera pas non plus…
Bref, quitte à faire du plagiat, LAST VEGAS aurait mieux fait de copier VERY BAD TRIP jusqu’au bout, histoire de nous rappeler que bien manier l’insolence et l'humour, ce n’est pas une question
d’âge mais d'audace.
Karine G. Barzegar
LA PHRASE
"C'est bizarre, la vodka-Red-Bull, j'ai l'impression de me soûler la gueule et de me faire électrocuter en même temps" (Morgan Freeman, en train de découvrir une
boisson de jeunes dans une boîte de nuit).
LAST VEGAS
(États-Unis, 1h45)
Réalisation: Jon Turteltaub
Avec Michael Douglas, Robert De Niro, Morgan Freeman
(Sortie le 27.11.2013)