LA VÉNUS À LA FOURRURE

Séance de SM verbal

Huis clos entre un metteur en scène et une actrice (©Mars Distribution)
Huis clos entre un metteur en scène et une actrice (©Mars Distribution)

Deux acteurs (dont sa femme), un huis clos dans un lieu unique, une seule caméra: pour son dernier film, Roman Polanski n'a pas eu besoin d'un budget faramineux.
LA VÉNUS À LA FOURRURE est son second film consécutif adapté d'une pièce de théâtre, après CARNAGE en 2011, qui ne comprenait que quatre acteurs.
Cette fois-ci, le point de départ est une pièce du dramaturge américain David Ives, elle-même basée sur le livre de 1870 de l'auteur autrichien Leopold von Sacher-Masoch, qui comme chacun sait a donné son nom au masochisme.
A Paris, de nos jours, seul dans un grand théâtre désert après avoir passé la journée à auditionner des comédiennes, Thomas (Mathieu Amalric), un metteur en scène, se lamente au téléphone (portable) sur la piètre performance des candidates. ''Pas une qui soit capable de prononcer 'inextricable' sans prendre un cours de diction!''
Il s'apprête à quitter les lieux quand arrive, en retard, une dernière candidate. Comme le personnage principal de la pièce, ''La Vénus à la fourrure'', que doit mettre en scène Thomas, elle s'appelle Vanda (Emmanuelle Seigner). Vulgaire, excentrique, délurée, vêtue d'une robe et d'un corset sexy: tout ce que Thomas déteste.
Mais elle est prête à tout pour obtenir le rôle et, un peu contraint et forcé, le metteur en scène se laisse convaincre de lui laisser faire un essai. Avec stupéfaction, il s'aperçoit vite qu'elle connaît la pièce par coeur.
Au fur et à mesure de la répétition, alors que les scènes et les dialogues s'enchaînent, le metteur en scène, qui lui donne la réplique, voit se métamorphoser l'actrice. Par moments ce n'est plus la petite comédienne écervelée qu'il a devant lui, mais une actrice presque intello, aux réflexions percutantes, qui lui tient tête et le pousse dans ses retranchements...
''La contrainte d'être dans un lieu unique avec seulement deux personnages sans jamais ennuyer le spectateur, sans que ça ressemble à du théâtre filmé pour la télévision, c'était une gageure intéressante à relever'', explique Polanski, dont c'est le premier film en français depuis FRANTIC en 1988.
Film tiré d'une pièce tirée d'un livre, cinéaste qui filme un metteur en scène en plein travail, rapports homme-femme et metteur en scène-actrice, mélange entre le vrai et le faux à l'intérieur même de la pièce elle-même à l'intérieur même du film: c'est à un brillant exercice de style que Polanski se livre, une longue séance de SM verbal, une joute à coups de dialogues incisifs.
Les rapports de domination entre les deux personnages vont changer, évoluer, fluctuer: le tout-puissant metteur en scène et la petite actrice soumise vont inverser les rôles, dans une histoire dont l'ironie et le féminisme ont séduit Polanski. Les rapports sado-masochistes entre un réalisateur et une actrice (demandez aux actrices de LA VIE D'ADÈLE ce qu'elles en pensent) ne sont ici que l'une des toiles de fond du scénario.
Bien qu'il s'en défende, Polanski a fait de Mathieu Amalric, excellent, son double sur scène/à l'écran. L'acteur a même adopté une coiffure qui rappelle le Polanski des années 60 –mais ''ce n'était pas voulu de ma part'', jure le réalisteur, ''je ne m'en suis même pas aperçu tout de suite''.
Emmanuelle Seigner, elle, crève l'écran dès son apparition. Dans un rôle à double facette, elle avoue avoir pris beaucoup de plaisir à jouer Vanda la vulgaire. Mais quand Vanda devient intello –ce qui est moins facile à jouer--, ce n'est pas mal non plus.
Jean-Michel Comte

LA PHRASE
''À poil sur scène? Pas de problème. Je fais ça gratuitement. Le sado-masochisme, je connais, je travaille au théâtre'' (Emmanuelle Seigner, quand Mathieu Amalric lui explique la pièce).

LA VÉNUS À LA FOURRURE
(France, 1h33)
Réalisation: Roman Polanski
Avec Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric
(Sortie le 13 novembre 2013)