LA BELLE ET LA BÊTE

Livre d'images plein écran

Léa Seydoux et Vincent Cassel sont la Belle et la Bête (©Pathé Distribution)
Léa Seydoux et Vincent Cassel sont la Belle et la Bête (©Pathé Distribution)

Le roi Pelé était-il meilleur footballeur que Lionel Messi? John F. Kennedy aurait-il fait mieux que Barack Obama? Faut-il préférer Victor Hugo à Patrick Modiano? Questions idiotes, qui n'appellent pas de réponses.
De même, il faut oublier Jean Cocteau et Jean Marais quand on pense à LA BELLE ET LA BÊTE. Le film de Christophe Gans, qui sort ce mercredi 12 février sur les écrans, n'a pas l'ambition de se comparer au classique de 1946.
''La légende renaît'', dit simplement le slogan publicitaire du film. De ce conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve datant de 1740, et adapté des dizaines de fois au théâtre et au cinéma (notamment par Walt Disney en 1991 ou en ce moment au théâtre Mogador à Paris), Christophe Gans, réalisateur du PACTE DES LOUPS en 2001 (sur la légende de la Bête du Gévaudan), a fait une nouvelle version à la fois romanesque, baroque et bénéficiant des effets spéciaux les plus récents du cinéma actuel, un beau livre d'images sur grand écran.
On est en 1810. Après le naufrage de ses navires, un marchand veuf et ruiné (André Dussollier) doit s’exiler à la campagne avec ses six enfants –trois filles et trois garçons. Parmi eux se trouve Belle (Léa Seydoux), la plus jeune de ses filles, joyeuse et pleine de grâce.
Un jour, pris dans une tempête de neige en pleine forêt, le commerçant découvre un château apparemment abandonné et a la malencontreuse idée de cueillir une rose dans le jardin luxuriant du domaine. 
Erreur fatale. Une mystérieuse et inquiétante Bête (Vincent Cassel) surgit, haut maître des lieux, et le condamne, pour avoir volé cette rose, à vivre au château ad vitam aeternam. ''Une vie pour une rose'', dit la Bête, sans pitié.
La fille du marchand, Belle, informée du sort funeste de son père, se sacrifie alors et décide de prendre sa place, comme on le ferait pour un échange d'otages. ''Je m'appelle Belle. Je suis venue échanger ma vie contre celle de mon père'', dit-elle à la Bête en débarquant au château.
Comme son nom l'indique, elle est belle. La Bête, au lourd passé sentimental, va bien sûr tomber sous son charme. ''Si tu acceptais de t'abandonner, je pourrais combler tous tes désirs'', lui dit-il au bout de quelques jours.
Taratata. Belle n'est pas une fille facile. ''Vous croyez qu'une bête comme vous pourrait combler une femme comme moi?'', lui répond-elle, pas impressionnée. Quoique...
Briser des malédictions, chercher et trouver le véritable Amour (avec un grand A), faire fi des apparences pour aller dénicher la Vérité (avec un grand V): le scénario plonge au plus profond des sentiments humains, parfois même psychanalytiquement, ce qui est la base de tous les contes –pour enfants comme pour adultes.
Ici le réalisateur a mis son imagination créatrice, un duo d'acteur charismatique (Léa Seydoux et Vincent Cassel) et les techniques et effets spéciaux les plus modernes au service d'une histoire que tout le monde, ou presque, connaît par coeur.
Les surprises viennent donc de la mise en scène, des détails, des décors, des personnages secondaires, du mélange entre poésie et mystère, des trouvailles que l'on prend en plein visage au fil de l'histoire: deux soeurs pimbêches et têtes à claques, trois frères très différents (un poète, un voyou, un ado), un père aimant et candide, un cheval à qui l'on murmure à l’oreille la phrase ''Plus que tout au monde'' pour qu'il conduise à bon port, un jardin extraordinaire, des petites créatures étranges et sympathiques à têtes de chiens aux gros yeux, des lucioles jaunes dans une eau miraculeuse, une biche délicate hautement symbolique, un géant de la forêt façon Hulk, un carillon qui sonne en temps et en heure, des rêves entre prémonition et réalité, une danse de séduction dans l'immensité du château, un amour qui ne veut pas encore dire son nom...
La Bête et la Belle, Vincent Cassel et Léa Seydoux, «les deux ont un yin/yang parfait», dit Christophe Gans. ''Vincent est aussi féminin que Léa peut être masculine. A l'écran, ils dégagent une sensualité redoutable''.
Et c'est vrai que Vincent Cassel, viril et inquiétant, a sa part de mystère et de vulnérabilité, tandis que Léa Seydoux, décolletés sexys et charme ravageur, ne se laisse pas séduire si facilement.
Alors que le film de Jean Cocteau s'intéressait surtout au personnage de la Bête, ici Christophe Gans a préféré se concentrer sur celui de Belle. C'est un choix qui se défend, même si l'on est un peu frustré de ne pas voir davantage la Bête dans cette histoire.
Les effets spéciaux n'enlèvent rien au romantisme et au mystère de l'histoire, André Dussollier notamment ramenant tout le monde sur terre à plusieurs reprises. Le film, dit le réalisateur, ''a été construit sur la volonté de ressusciter une idée de cinéma français propre aux années 40, tout en rentrant de plain-pied dans la technologie d'aujourd'hui''.
D'un budget annoncé de 35 millions d'euros (cinq fois plus que la moyenne des films français), LA BELLE ET LA BÊTE est donc un double pari, artistique et économique, qui a l'ambition, en France mais aussi à l'étranger, de dépasser les traditionnelles comédies à la française ou les films d'auteur intellos.
Le pari est lancé, il revient aux spectateurs de le couronner de succès –ce qui ne serait pas immérité, tant l'entreprise, à chaque instant, à chaque image, à chaque décor, témoigne d'un travail bien fait, d'une belle ouvrage, d'une belle histoire, et d'un bel amour du spectacle et du spectateur.

Jean-Michel Comte

LA PHRASE
''Quand une fille est triste, on dit qu'elle boude. Et quand elle est trop joyeuse, on dit qu'elle est folle'' (Léa Seydoux, lasse qu'on se plaigne de son caractère changeant).

LA BELLE ET LA BÊTE
(France, 1h52)
Réalisation: Christophe Gans
Avec Vincent Cassel, Léa Seydoux, André Dussollier
(Sortie le 12 février 2014)