L'ÉCUME DES JOURS

Overdose de poésie

Audrey Tautou et Romain Duris: les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics ont des p'tites gueules bien sympathiques (©StudioCanal)
Audrey Tautou et Romain Duris: les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics ont des p'tites gueules bien sympathiques (©StudioCanal)

Y a-t-il des livres impossibles à adapter au cinéma? Non, sans doute. Après tout, une réalisatrice britannique, Mary Ellen Bute, a bien essayé en 1965 de transposer sur grand écran Finnegans Wake, de James Joyce. Alors...

L'écume des jours, de Boris Vian, écrit en 1947, passait pareillement pour inadaptable, à cause de son écriture poétique et de son récit farfelu. Jusqu'à ce que le réalisateur Charles Belmont, en 1968, se lance dans l'aventure, avec Jacques Perrin et Marie-France Pisier dans les rôles principaux.

Aujourd'hui c'est Michel Gondry, cinéaste à l'inventivité débordante et reconnue (ETERNEL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND, LA SCIENCE DES RÊVES, SOYEZ SYMPAS REMBOBINEZ), qui s'attaque au monument, avec l'idée de traduire sur écran un maximum de ses impressions de lecteur.

Il a choisi Romain Duris et Audrey Tautou pour incarner Colin, jeune homme idéaliste et inventif, qui tombe amoureux de la douce Chloé, incarnation pour lui de la musique de jazz qu'il adore: ''Êtes-vous arrangée par Duke Ellington?'' est la première question qu'il lui pose quand ils se rencontrent dans une soirée.

Colin, aisé et oisif, vit dans un appartement extraordinaire en forme de wagon, a un cuisinier brillant (Omar Sy), un ami proche (Gad Elmaleh) fan du philosophe Jean-Sol Partre, et quand il rencontre Chloé à la soirée d'anniversaire du chien d'une amie, il tombe sous le charme.

Il l'épouse. Mais le mariage idyllique va laisser la place à l'inquiétude, la couleur va s'effacer devant le noir-et-blanc quand on va apprendre que Chloé est malade: elle a un nénuphar dans le poumon droit...

Dans un Paris jazzy très années 70, Michel Gondry en met plein les yeux, plein la tête, plein le coeur dès les premières minutes: à coup d'effets spéciaux (mécaniques pour la plupart, et non numériques), c'est un festival de poésie, d'inventions visuelles, de trouvailles drôles, de créativité.

Défilent ainsi, à un rythme effréné, une petite souris et un pistolet à bulles, des dactylos qui travaillent à la chaîne, un chef cuistot qui traverse l'écran de télé, une table à manger ondulée et à roulettes, un Rubik's cube en guise d'agenda, des chaussures qui marchent toutes seules et grognent comme un chien, des petits fours en forme de petits fours, des jambes qui s'allongent pour danser le ''Biglemoi'', une sonnette en forme de gros insecte qui galope, etc., etc.

Sans oublier le fameux ''Pianocktail'' au principe simple: une note, un alcool. On joue sur le clavier, la note génère un liquide alcoolisé, et au bout du morceau de musique on boit le résultat fourni par des tuyaux derrière le piano.

Toutes ces petites merveilles d'imagination cinématographiques sont tellement nombreuses que très vite, cependant, on frôle l'overdose. Trop de poésie nuit à la poésie. Trop d'invention nuit au récit, aux rapports entre les personnages, à l'émotion que le film est censé apporter dans sa seconde moitié.

On en sort tout de même --qu'on ait lu le livre de Boris Vian ou pas-- avec un sentiment de légèreté, l'envie de voir le monde d'un oeil différent (pourquoi n'y a-t-il pas de station de métro Erroll Garner?). Et la certitude que cette ÉCUME DES JOURS flotte bien au-dessus de l'ordinaire, que ce film n'est pas du genre qu'on voit tous les jours dans une salle de cinéma.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

''Je suis à la fois désespéré et terriblement heureux'' (Romain Duris, après sa première rencontre avec Audrey Tautou).

 

L'ÉCUME DES JOURS

(France, 2h05)

Réalisation: Michel Gondry

Avec Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy

(Sortie 24 avril 2013)