L'apprentissage du deuil
À cet âge, on a la vie devant soi. Et donc plein de choses à découvrir. En pleine insouciance et en plein été, un groupe de jeunes gens à peine sortis de l'adolescence font l'apprentissage d'un deuil commun, dans l'attachant premier film de la réalisatrice Émilie Aussel, L'ÉTÉ L'ÉTERNITÉ, qui sort sur les écrans ce mercredi 4 mai.
C'est l'été de leurs 18 ans, l'été du bac, l'été du passage imperceptible à l'âge adulte. On est à Marseille, une dizaine de garçons et filles passent leurs vacances ensemble. On se baigne et on discute sans fin sur la plage, on fume des joints, on boit des bières, on mange des pizzas, on s'embrasse, on regarde tous ensemble le coucher du soleil. Le soir, on danse, on boit et on fait la fête sur la plage.
Tous les garçons et les filles
Les filles parlent des garçons: il y a celles qui ont un petit ami, celles qui couchent à droite à gauche, celles qui ne couchent pas. "Tinder c'est de la merde, et l'amour ça rend con", dit l'une d'elles.
Lise (Agathe Talrich) est avec Malo (Matthieu Lucci). Sa meilleure amie, sa sœur de cœur, sa complice et confidente est Lola (Marcia Feugeas) qui, elle, n'a pas de petit ami et n'en cherche pas.
Fragiles et sûrs d'eux
À cet âge, on a la vie devant soi mais on ne sait pas laquelle, on ne s'en soucie pas trop, on se sent invincible, on pense que tout durera toujours. Fragiles et sûrs d'eux à la fois, les ex-adolescents vont commencer leur vie d'adulte par un drame: un des membres du groupe disparaît dans un accident (mais est-ce vraiment un accident?).
Chacun va faire à sa manière l'apprentissage du deuil commun. Lise, elle, choisit de s'écarter de la bande, de se retrouver seule –mais avec d'autres. Elle rencontre trois artistes marginaux un peu plus âgés qu'elle, Rita, Cosmo et Marlon, qui préparent une pièce de théâtre expérimental. De nouvelles rencontres qui font mûrir…
Rien ne dure
"Ce passage du royaume de l’insouciance adolescente à celui de l’âge adulte, précipité par cet accident qui bouleverse tout, coïncide avec cette prise de conscience de l’éphémère, d’une douloureuse vérité: tout a une fin, rien ne dure. La joie ordinaire, l’intense insouciance du début sont balayées et le film change de rythme, de forme, bascule dans le mystère", explique la réalisatrice Émilie Aussel, 42 ans, dont c'est le premier long-métrage après quatre courts-métrages depuis 2009, déjà situés à Marseille.
Les jeunes acteurs et actrices sont en grande majorité des débutants au cinéma et donnent à la première moitié du film toute sa fraîcheur et son naturalisme, même s'ils font preuve déjà d'un vrai professionnalisme. Le ton et la manière de filmer font penser à Pialat, Rohmer ou Kechiche.
Seconde partie moins réussie
La seconde partie, d'un style plus expérimental et plus découse, est moins réussie, avec les trois jeunes artistes qui font découvrir un monde nouveau à Lise, personnage que l'on suit tout au long du film. Un petit suspense s'installe sur la manière dont tout cela va finir, notamment par l'insertion de courtes séquences dans lesquelles les personnages, face caméra, expriment leurs sentiments.
Mais, à part le drame qui affecte tout le monde, il ne se passe pas grand-chose, le scénario est pratiquement inexistant, un choix assumé par Émilie Aussel: "Je veux faire des films de sentiments plutôt que de scénario", dit-elle.
La jeunesse, thème récurrent
Et, dans cette histoire précise, la réalisatrice a voulu poser la question de "comment survivre à la perte et continuer d’être ensemble sans avoir les mots pour se réconforter", en l'occurrence chez les jeunes, thème principal de ses quatre courts-métrages.
Mal maîtrisé dans sa seconde moitié, le film est tout de même un joli mélange de réalisme et de poésie, de gravité et de fraîcheur, avec cette volonté de décrire les états d'âme des jeunes (et Lise notamment) sans s'encombrer de personnages adultes, de contexte politique ou social, de rebondissements dans l'histoire.
"À travers le récit de Lise, il s’agit de poursuivre le portrait intemporel d’une jeunesse et de ses affects: une jeunesse consciente d’elle-même, non dépourvue d’humour et de romantisme. Une jeunesse en quête d’absolu et de communauté émotionnelle, cherchant ici-bas ce quelque chose qui la dépasse", conclut la réalisatrice.
LA PHRASE
"Tu n'as pas l'impression qu'on va crever sans avoir fait 1% de ce qu'on voulait faire?" (Rita).
(France, 1h15)
Réalisation: Émilie Aussel
Avec Agathe Talrich, Marcia Feugeas, Matthieu Lucci
(Sortie le 4 mai 2022)
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