DEUX JOURS, UNE NUIT

Un week-end Cotillard

Marion Cotillard, sinon rien (©Diaphana Distribution)
Marion Cotillard, sinon rien (©Diaphana Distribution)

En quête de leur troisième Palme d'or à Cannes après ROSETTA (1999) et L'ENFANT (2005), les frères belges Luc et Jean-Pierre Dardenne sont allés chercher une star –ce n'est pas dans leurs habitudes– pour porter, sur ses épaules, leur nouveau film DEUX JOURS, UNE NUIT.
Marion Cotillard ne quitte pas l'écran. Elle figure dans toutes les scènes pendant une heure et demie. On ne voit qu'elle...
Elle interprète le personnage de Sandra, salariée dans une PME belge fabriquant des panneaux solaires, qui revient d'un congé-maladie après une dépression.
Son mari (Fabrizio Rongione) est cuisinier dans un self-service, ils ont deux jeunes enfants, une voiture familiale, une petite maison coquette –dont les traites restent à payer. Ce n'est pas la grande vie, ce n'est pas la misère non plus.
Mais au moment de reprendre son travail après cette longue absente, Sandra apprend qu'un vote a eu lieu parmi ses 16 collègues. Ils avaient le choix entre accepter une prime de 1.000 euros en contrepartie de son licenciement, et refuser la prime pour lui permettre de retrouver son emploi.
Sur les 16 collègues, 14 ont choisi la prime.
On est vendredi. Une des deux collègues qui l'ont soutenue a obtenu du patron que soit organisé un nouveau vote, à bulletins secrets, le lundi, car le contremaître a exercé des pressions sur les votants.
Sandra, poussée par son mari, a donc le week-end pour aller voir ses collègues, un par un, dans un pénible porte-à-porte sentimentalo-social, pour tenter de les faire changer d'avis... 
Ces ouvriers ''sont placés en situation de concurrence et de rivalité permanentes. Il n’y a pas d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Cela ne nous intéresse en aucun cas de regarder ainsi le monde'', explique Luc Dardenne.
Pour son frère Jean-Pierre, ''un film n’est pas un tribunal. Les collègues de Sandra ont tous de bonnes raisons de lui dire oui ou non. Une chose est sûre: la prime n’est un luxe pour aucun d’entre eux. Ils ont tous besoin de cet argent pour payer leur loyer, leurs factures... Sandra le comprend d’autant mieux qu’elle se débat elle-même dans des difficultés financières''.
Les deux frères belges ont réalisé un beau film, sobre et émouvant, qui parle de lutte  et de solidarité, dans la veine sociale qui est leur marque de fabrique depuis un quart de siècle.
Il faudrait venir d'une autre planète pour ne pas avoir le coeur serré par certaines scènes (celle au bord d'un terrain de foot, par exemple, vous verrez...). Et par ailleurs le film met en scène une sorte de suspense puisque, jusqu'au bout, on ne sait pas si Sandra parviendra à retourner le cours des choses.
Cela va sans dire, sans Marion Cotillard, cela n'aurait pas été le même film. Certes elle pleure beaucoup, et elle pleure bien. Mais la scène dans laquelle, au début du film, au pied de l'escalier intérieur de sa maison, elle passe son premier coup de téléphone à un collègue, mérite à elle seule le Prix d'interprétation féminine de ce Festival de Cannes 2014.
C'est la seule grosse récompense qui manque à son palmarès, après la moisson de LA MÔME en 2008  (César, Oscar, Golden Globe, BAFTA). Elle avait raté le prix à Cannes en 2008 pour DE ROUILLE ET D'OS (les actrices roumaines d'AU-DELÀ LES COLLINES avaient été choisies par le jury).
Mais Emilie Dequenne l'avait obtenue quand ROSETTA avait eu la Palme en 1999. Entre les mains des frères Dardenne, les acteurs et actrices crèvent l'écran, dans un cinéma pourtant aux antipodes du star-système.
Jean-Michel Comte

LA PHRASE
''Ils ont raison. J'existe pas. Je suis rien. Je suis rien du tout'' (Marion Cotillard, face à l'attitude de certains de ses collègues).

DEUX JOURS, UNE NUIT
(Belgique, 1h35)
Réalisation: Jean-Pierre et Luc Dardenne
Avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione, Pili Groyne
(Sortie le 21 mai 2014)