Nanni Moretti fait son cinéma
"Après tout, je fais un film tous les cinq ans", dit Nanni Moretti au début de son dernier long métrage, VERS UN AVENIR RADIEUX, qui sort ce mercredi 28 juin sur les écrans. Le plus grand réalisateur italien actuel y interprète son propre personnage et y fait donc son cinéma –avec le brio, l'humour et le désenchantement qu'on lui connaît.
Le film a été présenté en compétition au dernier Festival de Cannes mais n'a pas eu le succès de JOURNAL INTIME, Prix de la mise en scène en 1994, ou de LA CHAMBRE DU FILS, qui lui a valu la Palme d'or en 2001.
Invasion de la Hongrie en 1956
Dans VERS UN AVENIR RADIEUX, comme dans plusieurs des 13 films précédents qu'il a réalisés depuis 1976, le cinéaste se met en scène et joue devant la caméra son alter ego: Giovanni, un réalisateur renommé qui commence à tourner son nouveau film, l'histoire d'un cirque de Budapest qui débarque en Italie en 1956 au moment de l'intervention soviétique en Hongrie.
Mais cette histoire n'est que le film-dans-le-film, le prétexte pour Nanni Moretti de parler de nombreuses autres choses: la vie privée, le cinéma actuel, la société en général. Côté vie privée, la femme de Giovanni depuis une quarantaine d'années, Paola (Margherita Buy, dont c'est la cinquième collaboration avec Nanni Moretti), consulte secrètement un psy pour trouver le courage de le quitter. Et leur fille âgée d'une vingtaine d'années, chargée de composer la musique de son film, est amoureuse de l'ambassadeur de Pologne qui a trois fois son âge.
Netflix et producteurs coréens
Côté cinéma, sa femme produit un autre film d'un jeune réalisateur, un long métrage d'action et de violence destiné à un large public. Et pour financer son propre film, Giovanni va passer d'un producteur français pas très net (Mathieu Amalric) à des investisseurs coréens enthousiastes, après un entretien infructueux avec Netflix.
Et pendant ce temps-là, le tournage du film sur le cirque de Budapest et sur le soutien des communistes italiens aux insurgés hongrois opposés à l'URSS se poursuit, avec ses hauts et ses bas, ses difficultés et les états d'âme de Giovanni…
Un film sur le cinéma
C'est "un film sur le cinéma. L’histoire d’un cinéaste dont la vie a toujours été rythmée par le cinéma et dont les films ont toujours accompagné sa propre vie", dit Nanni Moretti. C'est un patchwork plutôt qu'un puzzle, un amoncellement de réflexions, d'états d'âme, de moments de colère et de lueurs d'espoir, un foisonnant bazar dans lequel le réalisateur (le personnage et le vrai) donne sa vision du cinéma, tel qu'il a été jadis et tel qu'il est aujourd'hui.
On a ainsi droit à des réflexions sur John Cassavetes et l'improvisation; sur les mules, les sabots et les pantoufles; sur le bruit des chaussures d'Anthony Hopkins alors qu'il est en pyjama dans le film récent THE FATHER; sur la chanson d'Aretha Franklin dans THE BLUES BROTHERS; sur LOLA de Jacques Demy, La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn, LA DOLCE VITA de Federico Fellini.
Donneur de leçons
Giovanni/Nanni Moretti s'interroge sur la violence dans le cinéma, citant APOCALYPSE NOW de Francis Ford Coppola, TAXI DRIVER de Martin Scorsese, TU NE TUERAS POINT de Krzysztof Kieslowski. Cela donne notamment une superbe scène, au petit matin, sur le plateau du film d'action que produit sa femme, avec un assassinat au pistolet en arrière-plan tandis qu'au premier plan Giovanni tourne le dos et s'en va en marchant...
Agaçant avec son petit côté donneur de leçons (parfois en voix off), sans surprise avec son habituel ton désabusé, ironique, cynique, Nanni Moretti séduit cependant par sa sincérité, la manière forte et élégante –parfois carrément brillante– de présenter les choses.
Moments de grâce
Il y a ainsi quelques moments de grâce parfois inattendus: à plusieurs reprises, des scènes collectives où l'on chante et danse, y compris l'une avec Giovanni/Nanni Moretti lui-même; quand il jongle avec un ballon de foot sur le plateau de tournage, avec en fond musical la chanson de Joe Dassin Et si tu n'existais pas; ou cette scène magnifique, film-dans-le-film-dans-le-film, où il souffle les dialogues à deux jeunes amoureux qui se disputent.
Et, bien sûr, c'est souvent très drôle, l'humour sardonique de Nanni Moretti étant une de ses marques de fabrique. On ne spoilera pas les dialogues de la scène la plus hilarante du film, celle dans laquelle le réalisateur s'entretient avec des représentants de Netflix, où il est question de "What the fuck?" –mais hélas la fin de la bande-annonce (ci-dessous) vend un peu la mèche.
C'était mieux avant
À 69 ans, Nanni Moretti raconte avec maîtrise et un mélange de légèreté et de gravité les méfaits du temps qui passe: dans le couple, dans la vie privée, dans le cinéma, dans la société en général. Un petit air de c'était-mieux-avant qu'éprouvent beaucoup de personnes du troisième âge.
Ce n'est pas pour autant un film-testament, son alter ego à l'écran a déjà en tête des idées d'autres films (et après tout, il fait un film tous les cinq ans…). À son producteur Mathieu Amalric qui dit au réalisateur Giovanni (le personnage): "Ton film est une métaphore du cinéma d'aujourd'hui. Suspendu sur son trapèze, sans savoir ce qu'il va devenir", le réalisateur Moretti (le vrai) répond avec une note d'optimisme: "Le film traverse différentes crises puis les surmonte grâce au cinéma qui a le pouvoir magique de nous faire redécouvrir la légèreté et l’envie d’être heureux. Malgré tout".
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Avec toi, on a toujours l'impression d'être sur la corde raide" (la fille de Nanni Moretti, à son père, qui lui demande s'il est aussi pénible que le dit sa femme).
("Il sol dell’avvenire") (Italie, 1h35)
Réalisation: Nanni Moretti
Avec Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando
(Sortie le 28 juin 2023)
Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion)
sur le site