UN SIMPLE ACCIDENT

Iran: se venger ou pardonner?

Après avoir enlevé celui qu'il croit être son ancien tortionnaire, Vahid (Vahid Mobasseri) veut, dans un premier temps, l'enterrer vivant dans le désert (©Les Films Pelleas/Memento Films).
Après avoir enlevé celui qu'il croit être son ancien tortionnaire, Vahid (Vahid Mobasseri) veut, dans un premier temps, l'enterrer vivant dans le désert (©Les Films Pelleas/Memento Films).

Les opposants au régime de Téhéran doivent-ils, quand ils en ont l'occasion, se venger de leurs tortionnaires ou leur pardonner? C'est la question que pose le réalisateur iranien Jafar Panahi dans son dernier film UN SIMPLE ACCIDENT, qui sort ce mercredi 1er octobre sur les écrans français après avoir obtenu la Palme d'or du dernier Festival de Cannes.

Tout commence donc par un simple accident: en pleine nuit, au volant de sa voiture, accompagné de sa femme enceinte et de leur fillette de cinq ans, un homme percute un chien errant. Pour réparer le véhicule, le couple s'arrête dans un garage, dans lequel est employé Vahid, jadis emprisonné par les autorités.

Vahid reste caché dans un coin du garage mais, en entendant la voix et la démarche claudicante de l'automobiliste, il croit reconnaître "la Guibole", son ancien tortionnaire à la prison, amputé d'une jambe. Il le suit jusqu'à son domicile après son départ du garage et, le lendemain matin, l'enlève, l'assomme et le met dans son van.

Doute

Ivre de vengeance, sa première intention est d'aller l'enterrer vivant dans le désert. Mais il a un doute. Est-ce bien lui? Par l'intermédiaire d'un ami, il va retrouver plusieurs anciennes victimes de "la Guibole": Shiva, ancienne journaliste devenue photographe de mariages; la mariée, Goli, qu'elle est en train de photographier avec son futur époux; et Hamid, lui aussi ancien prisonnier torturé.

Vahid embarque tout ce beau monde dans son van, avec l'homme assommé et inconscient. Et voici Shiva, Hamid, Goli, son futur mari et Vahid (Maryam Afshari, Mohamad Ali Elyasmehr, Hadis Pakbaten, Majid Panahi et Vahid Mobasseri) à l'arrière du van, en plein désert, à discuter du sort à réserver à cet homme…

Chef de file des réalisateurs iraniens contestataires

En remportant pour son 11e film la Palme d'or en mai dernier à Cannes, Jafar Panahi, 65 ans, est entré dans le club très fermé des cinéastes à avoir reçu la récompense suprême dans les trois principaux festivals (après le Lion d'or à Venise pour LE CERCLE en 2000 et l'Ours d'or à Berlin pour TAXI TÉHÉRAN en 2015).

C'est le chef de file des réalisateurs iraniens opposés au régime de Téhéran, dont on a pu voir les films en Occident ces derniers mois comme, entre autres, Les Graines du figuier sauvagE (de Mohammad Rasoulof), SEPT JOURS (d'Ali Samadi Ahadi) ou LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP (de Nader Saeivar, dont Jafar Panahi a co-écrit le scénario).

Il n'a jamais choisi l'exil

Mais, malgré les arrestations, les interrogatoires, les détentions, les interdictions de tourner et de quitter le pays, Jafar Panahi n'a jamais choisi l'exil, contrairement à beaucoup d'autres réalisateurs et acteurs iraniens: "Chaque fois que je sors du pays, je me demande pourquoi je suis parti. Ne pas être en Iran, pour moi, c’est inimaginable. C’est peut-être une faiblesse de ma part. Je n’ai pas cette capacité d’adaptation à un autre milieu. À l’étranger, je n’arrive pas à trouver ma place. Je n’ai pas la force intérieure pour m’installer ailleurs et y travaille", explique-t-il dans une interview au site Trois Couleurs, le magazine du distributeur MK2.

A l'exception de son premier film LE BALLON BLANC en 1995, aucun de ses films n'a jamais été projeté en Iran. Pas plus UN SIMPLE ACCIDENT qui, coproduit par des capitaux français, a été choisi pour représenter la France à la prochaine cérémonie des Oscars en mars 2026.

Suspense tendu et moments cocasses

Le scénario allie un suspense tendu et des moments cocasses, transformant parfois l'équipage d'anciennes victimes en Pieds Nickelés de la vengeance, entre colère, doutes et maladresses. Le film se délite un peu sur la fin, le suspense laissant vaguement la place à cet humour grinçant, avant une dernière scène superbe.

Mais c'est surtout une description des répressions infligées aux Iraniens par le régime des mollahs (emprisonnements, interrogatoires, tortures), avec ce débat entre ceux qui veulent se venger (comme Hamid ou Goli, qui dit: "Ce mec a foutu nos vies en l'air") et ceux qui ne veulent pas employer les mêmes méthodes, comme Shiva ("Ce n'est pas parce qu'ils ont eu recours à la violence qu'il faut le faire aussi").

Séjour en prison

Ce scénario et ces interrogations ont été inspirés en partie par ce que le réalisateur a vécu lors de son dernier séjour en prison (entre juillet 2022 et février 2023) et par ce que lui ont raconté d'autres détenus.

Dans le film, explique-t-il, "ce sont des personnages de fiction, mais ce qu’ils racontent avoir subi est arrivé à des prisonniers, dans la réalité. Ce qui est réel aussi, c’est la diversité de ces profils, et également des manières de réagir. Certains deviennent à leur tour très violents, obsédés par la possibilité de se venger, tandis que d’autres essaient malgré tout de prendre du recul, réfléchissent à des possibilités à plus long terme. Certains étaient très politisés, ou le sont devenus, d’autres pas du tout, ils ont été pris un peu par hasard".

Film politique fort

UN SIMPLE ACCIDENT est donc un film politique fort, qui pose la question de la vengeance ou du pardon –et donc de l'attitude à avoir quand, un jour, le régime de Téhéran sera renversé: "En tant qu’artiste, on porte souvent en nous un idéal de non-violence. Et on pense que, dans une société juste, cet idéal peut s’appliquer", dit Jafar Panahi. "Mais, quand on est mis face à une situation aussi brutale que celle d’un ancien prisonnier face à son bourreau, est-on encore capable de suivre cet idéal? Cette question, elle ne concerne pas seulement ceux qui sont passés par la prison. Elle doit être posée à tous".

Et lui, s'il revoit un jour un de ses geôliers, dont il ne connaît que la voix entendue quand il était interrogé les yeux bandés? La question lui été posée dans une autre interview, à La Tribune Dimanche: "Personnellement, je ne sais toujours pas ce que je ferais si un jour je me retrouvais face à cette personne. On peut être idéaliste et penser qu'il ne se passerait rien, qu'on pardonnerait tout... Mais on ne peut être sûr de rien tant qu'on ne s'y trouve pas confronté".

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"On n'est pas des tueurs. On n'est pas comme eux" (en début de film, Salar, un ami de Vahid, qui l'exhorte à ne pas se venger).

 

Un simple accident

("Yek tasadef sadeh") (Iran/France/Luxembourg, 1h42)

Réalisation: Jafar Panahi

Avec Vahid Mobasseri, Maryam Afshari, Ebrahim Azizi

(Sortie le 1er octobre 2025)


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