Une femme en colère
L'amour dure-t-il sept ans? C'est à l'issue de cette période qu'un couple se sépare dans le film norvégien LOVEABLE (ce mercredi 18 juin sur les écrans). Mais celui-ci, plus que l'échec d'une histoire d'amour, dresse surtout le portrait d'une femme épuisée, en colère, désespérée –mais combattive.
Après un premier mariage raté et une séparation, Maria (Helga Guren), mère de deux jeunes enfants, fait la connaissance de Sigmund (Oddgeir Thune), charmant et drôle. Ils se croisent de fête et fête et elle le séduit d'un regard, un soir, dans la voiture. C'est évident: ils sont faits l'un pour l'autre.
Le couple est heureux, la passion est fusionnelle, ils ont deux enfants. Mais Sigmund est souvent absent à cause de son travail, et de son côté Maria a du mal à poursuivre sa carrière en menant de front une vie domestique épuisante avec ses quatre enfants.
Épuisement
Disputes, éclats de voix, réflexions acrimonieuses et règlements de comptes: peu à peu le couple se délite. Maria exprime de plus en plus son épuisement (physique et mental), sa colère, son ras-le-bol quotidien. "Ton comportement me rend malade", lui reproche Sigmund, qui lui suggère de suivre une thérapie pour, dit-il, "gérer ta colère".
Au bout de sept ans de vie commune, on ne donne pas cher de l'avenir de ce couple mais chacun essaye de faire des efforts. Vont-ils parvenir à recoller les morceaux de leur histoire d'amour brisée, à réparer les blessures, à surmonter les obstacles?...
Premier film
C'est le premier film de la réalisatrice norvégienne Lilja Ingolfsdottir, qui n'a pas une vision idyllique de l'amour et du couple: "Dans une histoire, on ne montre pas tout de suite nos besoins les plus profonds, on montre autre chose pour plaire, pour être aimé. Quand on se dévoile enfin, alors c’est le rendez-vous de deux traumatismes, tout ce qui est derrière nous, tout ce qu’on a vécu surgit. C’est là que les problèmes commencent. J’ai vraiment voulu explorer cette matière psychologique".
Dans la première moitié du film, les scènes de disputes se succèdent d'une manière assez peu originale. Mais la seconde moitié est beaucoup plus forte et intéressante, quand la réalisatrice s'intéresse davantage à Maria (qui s'exprime parfois en voix off) qu'à son couple: "Cela me tenait à cœur de faire un film psychologique entièrement du point de vue de Maria, que l’on sente qu’elle est consciente de ce qu’elle a vécu".
Ni héroïne ni victime
La description de Sigmund n'est pas caricaturale, il est plutôt sympathique et compréhensif, même s'il n'assume pas toutes ses responsabilités de père et de mari et se réfugie dans l'absence pour supporter les reproches et le caractère irascible de Maria.
Celle-ci n'est décrite ni comme une héroïne ni comme une victime, ni forte ni faible, mais simplement une femme en colère qui a la force d'entamer un processus introspectif pour se prouver qu'elle mérite qu'on l'aime. Elle a certes peur d'être abandonnée (on entend à un moment, en musique de fond, la chanson Ne me quitte pas en français) mais a des problèmes relationnels tant avec sa fille aînée, ado elle aussi toujours en colère, qu'avec sa mère (Elisabeth Sand), à qui elle rend visite et qui finit par laisser éclater elle aussi sa colère.
Colères de femmes
Colères de femmes? En cela le film exprime un message féministe que revendique la réalisatrice: "Je voulais vraiment parler de la colère féminine, parce que je pense que c’est un tabou. Je pense que c’est naturel que les femmes soient en colère, la colère vient du fait de ne pas avoir de pouvoir, de se sentir impuissante. Je pense que nous avons manqué de ce pouvoir pendant de longues années. Nous sommes en colère parce que nous sommes manipulées. En tant que femmes, nous devons faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour obtenir ce que nous voulons".
LOVEABLE est un film éprouvant, voire déprimant, à la limite du plaidoyer pour le célibat, parfois longuet car bavard, bavard car longuet. C'est un film intello dans lequel on voit à plusieurs reprises les personnages se laver les dents ou remplir/vider le lave-vaisselle. Pas vraiment grand public.
Mais c'est un film puissant et intéressant, singulier, qui fait réfléchir, avec des moments forts portés par la formidable actrice Helga Guren, notamment vers la fin: deux séances où elle s'exprime seule face à une psychothérapeute, et une séquence magistrale face à son miroir dans laquelle elle se dit à elle-même (explication du titre, à voir en fin de la bande-annonce): "Tu peux recevoir de l'amour".
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Je trouve que la distance a du bon. Pour nous deux" (Sigmund, à Maria, au moment où ils séparent).
("Elskling") (Norvège, 1h43)
Réalisation: Lilja Ingolfsdottir
Avec Helga Guren, Oddgeir Thune, Elisabeth Sand
(Sortie le 18 juin 2025)
Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion)
sur le site