Le régime qui en opprimait trop
Les cinéastes iraniens sont parmi les plus courageux, qui dénoncent le régime des mollahs dans leurs films tournés souvent dans la clandestinité, au risque d'être arrêtés, emprisonnés et condamnés. Nouvel exemple avec LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP (ce mercredi 27 août sur les écrans), un film du réalisateur Nader Saeivar qui illustre la corruption de la justice de son pays et rend hommage aux femmes qui luttent pour leur liberté.
Tarlan (Maryam Boubani), professeure de danse à la retraite, a laissé la succession de son école à sa fille adoptive Zara (Hana Kamkar) et veille sur sa petite-fille adolescente Ghazal (Ghazal Shojaei). Elle rend souvent visite en prison à son fils (Abbas Imani) dépressif, incarcéré pour des dettes, et poursuit ses activités syndicales et de défense des droits des femmes, avec ses anciennes collègues.
Régulièrement battue
Mais les activités de Zara ne plaisent pas à son mari Solat (Nader Naderpour), riche homme d'affaires proche du pouvoir. Il est agacé par les vidéos de danse que poste sa femme sur les réseaux sociaux, néfastes pour sa réputation et l'évolution de sa carrière politique. "Votre fille envoûte les hommes quand elle danse", dit-il à Tarlan, exigeant que Zara ferme son école de danse et soit plus docile: "Si elle m'obéit, elle aura la belle vie".
Tarlan constate que Zara est régulièrement battue par son mari, sans pouvoir y faire grand-chose. Mais un jour elle est témoin d'un meurtre commis par Solat à son domicile. Elle alerte la police, mais celle-ci protège l'homme d'affaires et tente d'intimider et de menacer Tarlan, pour la dissuader de continuer à témoigner…
Jafar Panahi co-scénariste
C'est le troisième film de Nader Saeivar, 51 ans, également scénariste, qui avait remporté le Prix du scénario au Festival de Cannes en 2018 pour Trois Visages, réalisé par Jafar Panahi. Celui-ci, chef de file des réalisateurs iraniens opposés au régime de Téhéran, Palme d'or du dernier Festival de Cannes pour UN SIMPLE ACCIDENT (qui sortira sur les écrans le 1er octobre), a co-écrit avec lui le scénario de cette FEMME QUI EN SAVAIT TROP.
Le film prend la forme d'un thriller, avec une réalisation minimaliste mais efficace, marquée par une certaine lenteur et basée sur le jeu des acteurs –et notamment de Maryam Boubani, une des premières comédiennes iraniennes à avoir décidé de retirer son hijab pour jouer dans des films, au début du mouvement "Femme, Vie, Liberté".
Combat des femmes iraniennes
Le film rend hommage au combat des femmes iraniennes et à ce mouvement et ces manifestations qui se sont développées après la mort, en septembre 2022, de Jina Mahsa Amini, une Kurde iranienne décédée après avoir été détenue par la police des mœurs pour "port de vêtements inappropriés". "Nous, hommes et cinéastes, avons ressenti un besoin de contribuer, car il était difficile de rester là, à boire notre thé, tout en observant les manifestations et en voyant d’autres personnes se faire tirer dessus ou maltraitées par la police", dit le réalisateur.
Il a tourné le film clandestinement en Iran, avant de quitter le pays dès la fin du tournage et de s'exiler en Allemagne. C'est le cas de nombreux réalisateurs et acteurs et actrices iraniens, comme le réalisateur Ali Samadi Ahadi dont le dernier film, SEPT JOURS, vient de sortir dans les salles françaises.
Suspense
Au-delà du message politique et de la dénonciation du sort réservé aux femmes (et notamment les féminicides) qui font la force du film, LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP installe une atmosphère de suspense, le spectateur se demande si Tarlan va pouvoir (et vouloir) continuer son combat pour que justice soit faite dans cette histoire.
Nader Saeivar a basé sa fiction sur des scènes ayant réellement existé, notamment quand Tarlan est emmenée en voiture dans le désert par des hommes de main du régime et abandonnée au bord d'une route, pour l'intimider, "ce qui m’est arrivé après mon deuxième film", raconte le réalisateur. "Ils m’ont attrapé de cette façon. L’une des plus grandes méthodes de répression est d’utiliser les membres de la famille pour exercer des pressions psychologiques. On vous dit d’abord de penser à votre famille, puis on vous impose des ordres, tout en jouant sur l’affection que vous avez pour vos proches".
Vidéos d'actualité
Au générique de fin défilent des vidéos d'actualité sur les manifestations de "Femme, Vie, Liberté" et des portraits de femmes emprisonnées ou tuées. Cela fait écho au début du film quand, alors que des femmes vêtues de robes blanches ou rouges dansent avec la jeune Gahzal (comme le montre le début de la bande-annonce), on entend la voix de Zara exhorter ces femmes iraniennes à ne jamais baisser les bras et à continuer leur combat: "Ne vous arrêtez pas de danser, même si vous faites une erreur (…). Si vous arrêtez, le spectacle sera gâché. Toute la troupe se sera donné du mal pour rien. Donc, une fois que vous commencez à danser, allez jusqu'au bout".
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Je ne peux pas me taire" (Tarlan).
("Shaded"/"The Witness") (Allemagne/Iran, 1h40)
Réalisation: Nader Saeivar
Avec Maryam Boubani, Nader Naderpour, Abbas Imani
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