BILLIE HOLIDAY: UNE AFFAIRE D'ÉTAT

Lady Sings the Blues

Dans le rôle de Billie Holiday, la chanteuse Andra Day fait ses débuts au cinéma (©Metropolitan Films).
Dans le rôle de Billie Holiday, la chanteuse Andra Day fait ses débuts au cinéma (©Metropolitan Films).

Dure à cuire mais vulnérable, talentueuse mais toxicomane et alcoolique, attachante mais mauvais caractère, Billie Holiday (1915-1959) fut l'une des icônes du jazz vocal, une voix inoubliable. Mais son combat contre le racisme lui a également valu d'être harcelée par les autorités américaines dans les années 40: c'est ce que raconte le film BILLIE HOLIDAY: UNE AFFAIRE D'ÉTAT, du réalisateur Lee Daniels (le titre original est "The United States Vs. Billie Holiday").

En 1939, la chanteuse est déjà une vedette quand elle interprète pour la première fois Strange Fruit, dans le premier club de jazz new-yorkais sans ségrégation, le Café Society. La chanson est un poème qui dénonce le racisme et les lynchages et pendaisons de Noirs dans les États du Sud. "Black bodies swingin’ in the Southern breeze/ Strange fruit hangin’ from the poplar trees", dit notamment la chanson ("Des corps noirs se balancent dans la brise du Sud/ Un étrange fruit pend des peupliers").

La chanson déchaîne aussitôt la controverse, et le gouvernement ordonne à Billie Holiday de cesser de la chanter sur scène. La chanteuse refuse. Elle devient dès lors une cible à abattre.

Dépendante de la drogue et de l'alcool

À l'époque, Billie Holiday est déjà sévèrement dépendante de la drogue et de l'alcool. C'est le motif que choisit Harry Anslinger, le chef du Bureau Fédéral des Narcotiques, pour tenter de la faire taire. Il charge un jeune agent noir, Jimmy Fletcher, d’infiltrer les cercles dans lesquels évolue la chanteuse et de la surveiller.

Arrêtée en 1947 pour possession de drogue –grâce notamment à Jimmy Fletcher–, Billie Holiday est condamnée à un an de prison. À sa sortie, c'est une autre femme. Elle est décidée à abandonner la drogue, a divorcé de son mari violent, a changé d'imprésario, et se produit au Carnegie Hall de New York, le 27 mars 1948. "I am back", dit-elle à la foule: c'est un triomphe, elle interprète 21 chansons et 6 rappels;  mais refuse de chanter Strange Fruit, Harry Anslinger et Jimmy Fletcher sont dans la salle.

Nouveau départ

Elle préfère entonner Ain't Nobody's Business (Ce n'est l'affaire de personne), qui dit notamment: "There ain't nothin' I can do nor nothin' I can say, that folks don't criticize me/ But I'm gonna do just as I want to anyway, I don't care if they all despise me" ("Il n'y a rien que je puisse faire ni rien que je puisse dire, que les gens ne me critiquent/ Mais je vais faire juste ce que j'ai envie de faire de toute façon, je m'en fiche s'ils me méprisent tous").

Malgré ce nouveau départ, les ennuis de Billie Holiday, dans sa vie privée comme professionnelle, n'ont pas disparu du jour au lendemain. Et Jimmy Fletcher est toujours là à la surveiller. Et toujours amoureux d'elle…

Combat contre la ségrégation raciale

Billie Holiday a déjà fait l'objet d'un biopic en 1972, Lady Sings the Blues, réalisé par Sidney J. Furie et interprété par Diana Ross, et d'un documentaire en 2019, BILLIE, réalisé par James Erskine. Ici Lee Daniels, réalisateur notamment de PAPERBOY (2012) avec Nicole Kidman et LE MAJORDOME (2013) avec Forest Whitaker, a voulu mettre l'accent sur le combat de la chanteuse contre la ségrégation raciale et les ennuis que cela lui a valus avec les autorités américaines.

"Quand on évoque les grandes figures du mouvement des droits civiques, on pense à Rosa Parks ou à Martin Luther King, ou encore, en étant un peu plus subversif, à Malcolm X. Ce n’est pas Billie Holiday qui vous vient à l’esprit. On songe à elle comme à une chanteuse, une chanteuse de jazz toxicomane", explique-t-il.

Gardénias dans les cheveux

Superbe dans sa robe moulante rouge comme ses lèvres, ses gardénias dans les cheveux, rayonnante et pleine d'énergie, Billie Holiday est aussi décrite sous des jours plus sombres, ivre et droguée, affalée dans les toilettes des cabarets, se piquant à l'héroïne chez elle ou dans ses chambres d'hôtel, parfois le regard flou et les yeux mi-clos sur scène.

Pour cette performance d'actrice le réalisateur a choisi la chanteuse Andra Day, aux faux airs de Rihanna, connue notamment pour sa chanson Rise Up nommée aux Grammy Awards en 2015, et qui fait ici des débuts particulièrement convaincants au cinéma.

Failles et fragilités

"Je n’ai jamais voulu la montrer dans le rôle d’une victime, de quelqu’un qui a été vaincu par le système", explique Lee Daniels. "Nous voulions qu’Andra incarne la quintessence de Billie, et c’était une dure à cuire, une coriace qui savait ce qu’elle voulait et comment s’imposer. Elle était parfaitement capable de se débrouiller toute seule. Mais en même temps, c’était aussi quelqu’un de vulnérable, avec ses failles et ses fragilités".

Aux côtés de Billie Holiday tout au long du film, le personnage de Jimmy Fletcher, interprété par Trevante Rhodes, est important. Il a réellement existé, même si son histoire d'amour avec la chanteuse est largement romancée. À un moment, la mère de Jimmy explique à son fils qu'elle n'est pas d'accord avec ce travail de harcèlement que l'agent effectue pour surveiller Billie Holiday: "elle chante pour nous", lui dit-elle.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Cette femme donne de mauvaises idées aux gens" (un des agents fédéraux, à propos des chansons de Billie Holiday).

 

Billie Holiday: une affaire d'État

("The United States Vs. Billie Holiday") (États-Unis, 2h08)

Réalisateur: Lee Daniels

Avec Andra Day, Trevante Rhodes, Garrett Hedlund

(Sortie le 2 juin 2021)