L'honneur d'un gendarme
Agriculteur, gendarme: ce sont deux métiers difficiles, dans la France provinciale d'aujourd'hui, auxquels s'intéresse Xavier Beauvois dans son dernier film ALBATROS, un drame humain délicat et pudique, qui sort sur les écrans ce mercredi 3 novembre.
Laurent (Jérémie Renier), un commandant de brigade de la gendarmerie d’Étretat, prévoit de se marier avec Marie (Marie-Julie Maille), sa compagne depuis 10 ans, qui travaille pour les services sociaux de la mairie. Ils ont une fille de 7 ans et habitent un appartement de fonction mais retapent une vieille maison qu'ils ont achetée. Tout se passe bien dans la petite famille, unie et heureuse, sans accroc particulier.
Bon père et bon gendarme
Bon père, bon futur mari, Laurent est aussi un bon gendarme, apprécié à la fois de ses collègues et de la population, malgré les difficultés quotidiennes de la tâche. Il aime son métier et est souvent confronté aux problèmes des agriculteurs de la région, qu'il essaye d'aider.
L'un d'eux, éleveur de vaches accablé de dettes, de lourdeurs administratives, de contrôles et d'obligations sanitaires, se révolte contre les gendarmes et s'enfuit avec un fusil. Quand Laurent le retrouve, un soir, l'agriculteur, au bout du rouleau, menace de se suicider en mettant le canon de son fusil sous son menton.
Placé en garde à vue
Pour le protéger et lui éviter de commettre l'irréparable, Laurent sort son arme et lui tire dans la jambe. Mais l'agriculteur est grièvement blessé, perd son sang rapidement, et décède à l'arrivée des secours. Accusé d'avoir perdu le contrôle de la situation, le gendarme est placé en garde à vue et interrogé. Il est anéanti, toute sa carrière et sa vie semblent s'effondrer, il a du mal à se remettre de ce drame…
Pour protéger
Xavier Beauvois explique avoir "voulu montrer ce qui fait le quotidien des gendarmes: suicides, agressions sexuelles, drames familiaux, opération de déminage, ou tout simplement l’alcoolique qu’on essaye de ramener chez lui. Je montre que les gendarmes ne sont pas là uniquement pour punir, mais aussi et surtout pour protéger".
Le réalisateur, qui avait évoqué la vie d'un commissariat de police parisien dans LE PETIT LIEUTENANT en 2004 (avec Nathalie Baye et Jalil Lespert), prend ici la défense des gendarmes, sans pour autant retenir ses critiques contre les violences policières: "Je pense qu’une petite partie de la police s’est déshonorée, se déshonore encore, mais elle ne représente pas la police dans son ensemble. (…) Les violences de certains policiers, je ne pouvais pas ne pas en parler, donc j’ai ajouté une scène où mes gendarmes en parlent".
Inspiré d'un faits divers réel
Mais ALBATROS ne parle pas que des gendarmes, il illustre aussi les difficultés quotidiennes des agriculteurs. Le film est inspiré d'un faits divers réel, survenu en Bourgogne en 2017, explique Xavier Beauvois: "La base, c’est un article dans Society sur un agriculteur déprimé, Jérôme Laronze, qui m’a donné l’idée du film: il était en fuite, les gendarmes l’ont trouvé dans sa voiture, il leur a foncé dessus, ils ont répliqué et l’ont tué. J’ai transposé ça à Étretat où les gendarmes sont mes potes. Je connais aussi des agriculteurs du coin, on sait ce qu’ils gagnent".
"En France, il y a 3.000 fermes à vendre, un suicide par jour…", ajoute-t-il. "Les agriculteurs laitiers travaillent à perte. Je les vois bosser autour de ma maison, ils se lèvent tôt, finissent tard, n’ont ni vacances, ni week-end".
Réalisateur singulier
Gendarmes, agriculteurs: le réalisateur, qui habite près d'Étretat, les connaît bien. Il a tourné dans la vraie gendarmerie et a fait jouer dans le film plusieurs de ses voisins, souvent dans leur propre rôle (comme l'agriculteur suicidaire). Il a aussi donné les rôles de la femme et de la fille du gendarme à sa propre femme Marie-Julie Maille –qui est également coscénariste et monteuse du film– et à leur fille Madeleine.
Réalisateur singulier dans le cinéma français (et souvent acteur), Xavier Beauvois, 54 ans, a connu la consécration avec son cinquième film DES HOMMES ET DES DIEUX, Grand Prix du Festival de Cannes 2010 et César 2011 du meilleur film. Le film, avec Lambert Wilson, était inspiré de l'assassinat de sept moines du monastère de Tibhirine, en Algérie, en 1996.
Ton digne et intime
Dans ALBATROS, le réalisateur fait preuve de la même sobriété, du même ton digne et intime, du même intérêt pour les êtres humains, mais avec une préoccupation sociale et le désir de décrire la société en province avec le plus de réalisme possible.
Après une fausse piste au début quand on croit avoir affaire à un polar (un corps tombé des falaises), le film prend son temps pour planter le décor et les personnages dans sa première moitié, avec quelques longueurs et une absence totale de rythme.
Tourments et interrogations
Puis il bascule dans le sujet central de l'histoire, les tourments et interrogations dans lesquels tombe le personnage principal, moralement très secoué par le drame.
Dans ce rôle qui occupe pratiquement toutes les scènes, on est impressionné par la pudeur et la justesse de jeu de Jérémie Renier, acteur fétiche des frères Dardenne et clone de Claude François dans le biopic CLOCLO en 2012. À ses côtés, en jeune gendarme, on remarque Victor Belmondo, le petit-fils de Bébel, promis à une belle carrière.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"J'ai sorti mon arme une seule fois. Je voulais le sauver. Je l'ai tué" (Jérémie Renier, à propos de l'agriculteur sur lequel il a tiré).
(France, 1h51)
Réalisation: Xavier Beauvois
Avec Jérémie Renier, Marie-Julie Maille, Victor Belmondo
(Sortie le 3 novembre 2021)
Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion)
sur le site