LA VIE DE MA MÈRE

Maman est bipolaire

Entre Pierre (William Lebghil) et sa mère Judith (Agnès Jaoui), les rapports oscillent entre complexité et tendresse (©Silex Films/CPCF-5/KMBO).
Entre Pierre (William Lebghil) et sa mère Judith (Agnès Jaoui), les rapports oscillent entre complexité et tendresse (©Silex Films/CPCF-5/KMBO).

Ni avec elle, ni sans elle. Bien qu'elle plombe son existence, un trentenaire dont la mère est bipolaire ne se résout pas à la laisser tomber dans le film LA VIE DE MA MÈRE, touchant et drôle, qui sort ce mercredi 6 mars sur les écrans.

"Tu penses que c'est cool d'avoir une mère comme toi?", dit Pierre (William Lebghil) quand sa mère Judith (Agnès Jaoui) réapparaît dans sa vie. Bijoux voyants, décolleté, maquillage, verbe haut: elle a débarqué à grand fracas chez la grand-mère de Pierre, qui a prévenu son petit-fils.

Judith s'est échappée de la clinique dans laquelle elle est soignée pour des troubles bipolaires, elle a arrêté son traitement. Pierre, 33 ans, ne l'avait pas vue depuis deux ans: "J'avais besoin d'avoir une vie calme", avec une activité professionnelle remplie (il tient une boutique de fleurs qui marche bien) et une vie sentimentale hésitante avec la douce Lisa (Alison Wheeler).

Retrouvailles mouvementées

Le jeune homme n'a qu'une idée, ramener sa mère à la clinique. Mais il est contraint de la conduire au cimetière sur la tombe de son père. Et ces retrouvailles mouvementées vont se transformer en mini-road movie avec plusieurs étapes: station-service, pharmacie, bar-restaurant, hôtel, karaoké, ancienne maison.

Au gré de ses humeurs maniaco-dépressives –excentrique et agitée, ou calme et lucide–, Judith va profiter de ces moments pour renouer avec son fils et lui dire son amour. Et réciproquement…

Prix du public à Angoulême

LA VIE DE MA MÈRE, qui a reçu le Prix du public au Festival du film francophone d'Angoulême en août dernier, est le premier long-métrage de Julien Carpentier, qui a été scénariste et réalisateur de clips, publicités et programmes courts pour la télévision, et a aussi écrit des textes pour les humoristes Mathieu Madenian et Thomas VDB.

Cela fait 10 ans qu'il voulait raconter cette histoire, en grande partie personnelle: "Le film s’appuie sur une partie de mon histoire familiale, la maladie de ma mère, qui souffre de la même pathologie que le personnage de Judith", explique-t-il. "À travers le personnage de Judith, je raconte ce qu’est cette maladie: le manque de sommeil, l’alcool, l’hypersexualité, l’énergie débordante, les vêtements voyants, tout cela constitue des signaux pour l’entourage".

Amour réciproque

Mais le film ne s'attarde pas sur la bipolarité et sur ses symptômes, il met davantage l'accent sur la relation entre mère et fils, sur cet amour réciproque qui n'a pas disparu malgré l'absence, les troubles psychologiques, les difficultés de mener une vie normale. Le ton du film est sur le fil, on craint le drame à tout moment, mais les scènes émouvantes ou inattendues se succèdent, comme quand Judith, le soir dans le karaoké, interprète la chanson de Julien Clerc Fais-moi une place.

Ou, autre scène forte, quand mère et fils se retrouvent au sommet d'une dune en bord de mer au coucher du soleil. "C’est une image très symbolique pour moi, qui raconte quasiment tout le film: il monte, il voit qu’elle a besoin d’aide et il lui tend la main pour qu’ils continuent l’ascension ensemble. Les voilà au sommet, face à un coucher de soleil qui annonce la fin d’un jour mais aussi le début d’un autre", dit le réalisateur.

Belle présence d'Agnès Jaoui

Réalisatrice talentueuse, scénariste de génie (elle vient de recevoir un César d'honneur le 23 février, après ses six récompenses entre 1994 et 2001), Agnès Jaoui n'a jamais été la meilleure actrice du monde. Elle agace un peu ici, dans un rôle expansif, mais fait preuve d'une belle présence et alterne avec subtilité les deux facettes de son personnage, entre énergie et mélancolie. Face à elle, visage familier mais nom peu connu du grand public, William Lebghil attire la sympathie dans cette interprétation du fils bienveillant et tranquille.

Comme ses personnages, ce joli film est attachant, mélange d'émotion et d'humour, sans tomber dans le tragique ou le larmoyant. Au générique de fin, on entend Arno (1949-2022), accompagné au piano par Sofiane Pamart, interpréter Les yeux de ma mère, chanson de 1995 dans laquelle il dit notamment: "Dans les yeux de ma mère il y a toujours une lumière".

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Je ne fais pas exprès d’être comme ça" (Judith à son fils Pierre).

 

La Vie de ma mÈre

(France, 1h45)

Réalisation: Julien Carpentier

Avec Agnès Jaoui, William Lebghil, Salif Cissé

(Sortie le 6 mars 2024)


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