AIMER, BOIRE ET CHANTER

Le film-testament d'Alain Resnais

Caroline Silhol, Sandrine Kiberlain, Sabine Azema: aimer, boire, chanter (©F comme Film/Arnaud Borel)
Caroline Silhol, Sandrine Kiberlain, Sabine Azema: aimer, boire, chanter (©F comme Film/Arnaud Borel)

Disparu le 1er mars à l'âge de 91 ans, Alain Resnais a tiré sa révérence avec un dernier film posthume, comme un testament doux-amer, au titre optimiste vantant la joie de vivre: AIMER, BOIRE ET CHANTER.
Il y est question de la fragilité, de la solidité, de la longévité du couple à travers trois d'entre eux. Il y a Kathryn (Sabine Azéma), vivante, un peu survoltée, mariée à Colin (Hyppolite Girardot), un médecin de campagne pépère qui ne la touche plus depuis des années.
Il y a leurs amis Tamara (Caroline Silhol) et Jack (Michel Vuillermoz). Elle ferme les yeux sur beaucoup de choses, avec une lucidité froide et une ironie mordante, notamment sur les infidélités conjugales de son mari, qui affiche sans gêne maîtresse et signes extérieurs de richesse.
Et il y a Monica (Sandrine Kiberlain), institutrice dans une petite ville, qui a longtemps vécu une grande histoire d'amour avec George, son mari dont elle est séparée. Et qui se console désormais avec un agriculteur veuf, bougon et discret (André Dussollier).
Ce fameux George, on ne le voit pas. Mais on en parle beaucoup. Il répète une pièce avec une troupe d'amateurs dans laquelle figurent Kathryn, Colin et Tamara. Et, atteint d'une maladie, n'a plus que six mois à vivre.
L'annonce de cette dernière nouvelle bouleverse tout le monde. Sa femme Monica et ses amis en parlent entre eux. Et ne savent comment réagir quand ils apprennent que George a promis à trois femmes différentes de partir avec lui en vacances à Ténérife.
Alors, avec qui George partira-t-il? Et qui est-il vraiment? Et le verra-t-on avant la fin du film?...
Le scénario est tiré d'une pièce de l'auteur britannique Alan Ayckbourn, dont Alain Resnais s'était déjà inspiré pour deux de ces films précédents, SMOKING/NO SMOKING (1993) et COEURS (2006).
L'histoire se déroule dans le centre de l'Angleterre, mais Alain Resnais a choisi la forme très expérimentale du théâtre filmé: chaque scène est jouée dans des décors volontairement dépouillés, comme sur un plateau de théâtre minimaliste, avec des panneaux de carton-pâte, de l'herbe synthétique, de faux murs et, en guise de portes, des bandes verticales de toiles peintes qui s'écartent.
Entre chaque scène, le changement de lieu est signalé par de courtes images de paysages et de routes, et par des extraits de bande dessinée représentant le décor à venir.
''Je le dis pour tous mes films, c'est la forme qui m'intéresse, et s'il n'y a pas la forme, il n'y a pas l'émotion'', expliquait Resnais dans ses notes d'intention avant la présentation du film au dernier Festival de Berlin en février. Il disait vouloir ''abattre les cloisons entre le cinéma et le théâtre''.
Ce dernier film, au budget minimaliste, est donc à prendre comme un exercice de style, à la forme déroutante, donnant la part belle aux dialogues, à l'humour et au jeu des acteurs.
Dans ces paroles à foison, il y a du bon et du moins bon, des répliques savoureuses et des banalités, des perles délicieuses et des longueurs, et l'impression qu'Alain Resnais regarde tout cela de haut, avec malice et sagesse.
Quitte à faire office de film-testament, cet AIMER, BOIRE ET CHANTER est plus joyeux, plus optimiste, plus ouvert que le précédent, le crépusculaire et sombre VOUS N'AVEZ ENCORE RIEN VU, il y a deux ans.
On est loin bien sûr de NUIT ET BROUILLARD, HIROSHIMA MON AMOUR, PROVIDENCE, MON ONCLE D'AMÉRIQUE, ON CONNAÎT LA CHANSON et autres chefs d'oeuvre d'un cinéaste d'exception à qui l'on a rendu hommage lors de ses obsèques, lundi 10 mars.
Mais cette petite musique d'Alain Resnais, qui faisait des pieds de nez à la mort régulièrement dans ses films depuis une dizaine d'années, multipliant les allusions entre deux bouffées de joie de vivre, se fait entendre une dernière fois ici.
Le titre est tiré d'une chanson des années 30, interprétée par le ténor Georges Thill, qu'on entend en guise de générique de fin. Sur une musique de Johann Strauss, les paroles, écrites par Lucien Boyer, sonnent comme un ultime conseil du cinéaste: ''Sachons aimer, boire et chanter/ C'est notre raison d'exister/ Il faut dans la vie/ Un grain de folie...''.
Jean-Michel Comte

LA PHRASE
''J'aime mieux le ciné'' (André Dussollier, après la représentation de la pièce jouée par la troupe d'amateurs).

AIMER, BOIRE ET CHANTER
(France, 1h48)
Réalisation: Alain Resnais
Avec Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Caroline Silhol
(Sortie le 26 mars 2014)