MADRE

À la recherche du fils disparu

Elena (Marta Nieto) rencontre Jean (Jules Porier), un adolescent qui a l'âge de son fils disparu (©Manolo Pavon/Le Pacte).
Elena (Marta Nieto) rencontre Jean (Jules Porier), un adolescent qui a l'âge de son fils disparu (©Manolo Pavon/Le Pacte).

Quoi de pire, pour une mère, que de perdre son jeune enfant? C'est l'une des questions que pose MADRE, thriller psychologique du jeune et talentueux réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen.

Le film débute par un plan-séquence de 14 minutes d'une intensité dramatique comme en voit peu au cinéma. Dans un appartement espagnol, en début de soirée, en hiver, Elena reçoit un coup de fil de son fils de 6 ans, Ivan, parti en vacances avec son père. Le gamin appelle d'une plage française et explique d'une petite voix angoissée qu'il est tout seul et que son père a disparu.

Il est perdu, il ne sait pas sur quelle plage il est, et explique à sa mère qu'un inconnu s'approche. Il n'y a personne d'autre sur la plage. "Cours, Ivan, cours! (…) Cache-toi, vite!", lui hurle sa mère au téléphone. Avant que la batterie du portable du gamin ne rende l'âme et que la communication ne se coupe…

Dix ans plus tard, on retrouve Elena, qui vit dans la petite ville côtière où Ivan a disparu. Elle y travaille dans un restaurant du bord de mer, elle est en couple avec un agriculteur compréhensif qui habite au Pays basque espagnol, elle tente de mener une vie normale, mais le souvenir de son fils l'obsède toujours.

Certains la surnomment "la folle", car elle n'a pas perdu l'espoir que son fils soit vivant. Un jour, elle aperçoit un adolescent français de 16 ans en vacances avec sa famille, et le suit avant de faire sa connaissance. Le garçon s'appelle Jean, il est parisien et parle un peu espagnol, il est sympa et gai, un peu mariole, et va faire discrètement la cour à Elena. Surtout, il lui rappelle son fils…

MADRE est le cinquième film du nouveau petit prodige du cinéma espagnol, Rodrigo Sorogoyen, 38 ans, qui s'est fait connaître par ses deux précédents: le polar noir QUE DIOS NOS PERDONE en 2017 et le thriller politique EL REINO en 2019 (récompensé par 7 Goya, les César espagnols). Entre les deux il a réalisé un court-métrage intitulé MADRE, qui est à peu de choses près le long plan-séquence du début du long-métrage qu'il en a tiré.

À cette scène inaugurale époustouflante (on perçoit la montée progressive de la peur chez la mère, au téléphone, alors qu'on ne voit jamais ce qui se passe à l'autre bout du fil), le réalisateur a donc donné une suite, située 10 ans après.

Mais il n'a pas orienté le scénario vers une recherche d'Elena pour retrouver son fils. "L’idée de la course contre la montre d’une mère à la recherche de son petit garçon potentiellement aux mains d’un ravisseur s’est effacée définitivement pour laisser place à l’histoire intime d’Elena qui, plusieurs années plus tard, cohabite avec sa douleur et lutte pour sortir de ce tunnel obscur dans lequel elle est plongée depuis longtemps", explique-t-il.

Le suspense est donc psychologique, il ne s'agit pas d'un thriller d'action ni d'un drame familial ni même d'une histoire d'amour vénéneuse. Il ne se passe pas grand-chose –sauf dans la dernière demi-heure, quand tout s'anime un peu–, le spectateur ne sait pas trop sur quels chemins le réalisateur veut l'amener, sinon d'essayer de comprendre comment Elena peut continuer à vivre avec le souvenir douloureux de la disparition de son fils, après plusieurs années.

Et tout cela est fait avec une maestria et un sens de la réalisation remarquable, avec de longues scènes, des plans-séquences, de brèves ruptures de rythme. Bref, un film très maîtrisé, porté par une actrice peu connue, Marta Nieto, qui a des faux airs de Kate Winslet et de Rachel Weisz, et que le réalisateur –qui est aussi son compagnon, dans la vie– ne lâche pratiquement jamais tout au long de cette histoire troublante.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Cours, Ivan, cours!" (la mère, au téléphone, à son fils qui lui dit qu'un inconnu s'approche de lui, au début du film).

 

MADRE

(Espagne, 2h09)

Réalisation: Rodrigo Sorogoyen

Avec Marta Nieto, Jules Porier, Alex Brendemühl

(Sortie le 22  juillet 2020)