LES OGRES

Viens voir les comédiens

Les comédiens itinérants vont de ville en ville (Pyramide Films).
Les comédiens itinérants vont de ville en ville (Pyramide Films).

"Avec ce film, j'avais envie que le cinéma soit aussi un spectacle vivant". Inspirée par ses parents qui avaient monté une troupe de théâtre itinérant, la jeune réalisatrice Léa Fehner rend hommage aux saltimbanques dans LES OGRES, un film inégal, parfois réjouissant et parfois gros sabots.

C'est l'histoire et la vie quotidienne, sur les routes, d'une troupe de théâtre qui dresse chapiteau ici ou là, pour quelques jours, pour interpréter une pièce de Tchekhov en mêlant texte, musique, numéros divers et acrobaties. La troupe est dirigée par François, metteur en scène un peu autoritaire qui règne sur ce petit monde joyeux et parfois désordonné.

Un jour, l'accident d'une des actrices l'oblige à faire appel à une de ses ex, qu'il n'avait pas revue depuis longtemps, ce qui déclenche la colère de sa femme, membre de la troupe. Au sein de cette compagnie itinérante, un autre événement perturbe le quotidien: la grossesse d'une des jeunes actrices, Mona, enceinte d'un des membres de la troupe, Déloyal, dépressif et alcoolique, qui craint cette future paternité car il a perdu un fils, mort d'une leucémie, cinq ans plus tôt…

Le film raconte les aventures, drôles ou dramatiques, de cette troupe filmée parfois au plus près des personnages, avec une caméra qui donne le tournis. C'est un peu long (2h24), et souvent plein de bonne humeur, d'énergie et de liberté de ton. Mais aussi parfois lourdingue, avec des scènes qui, sous couvert d'humour libéré, mettent mal à l'aise: la femme du chef vendue aux enchères 100 euros à un spectateur pour coucher avec elle (attention: humour), Déloyal expliquant à des enfants de 5 ans ce qu'est la sodomie (attention: audace), une bagarre générale chorégraphiée comme une fête avec chanson italienne et rires (attention: second degré).

Les règlements de comptes, les disputes, les affrontements verbaux, dans la seconde partie du film, sont fatigants pour le spectateur, comme le caractère de plus en plus antipathique du personnage principal, François le chef de la troupe, bientôt insupportable.

Pourtant le ton (et la fin) se veulent optimistes et gais, dans une atmosphère de joyeux désordre: "J’ai eu envie de faire un film solaire et joyeux, mais joyeux avec insolence et âpreté", explique la réalisatrice. "J’ai eu envie de filmer ces hommes et ces femmes qui abolissent la frontière entre le théâtre et la vie pour vivre un peu plus fort, pour vivre un peu plus vite".

Elle s'est tournée vers ce sujet après un premier film plus sombre et plus âpre, QU'UN SEUL TIENNE ET LES AUTRES SUIVRONT, en 2008. Elle s'est tournée surtout vers sa famille, qu'elle a mise à contribution puisque ses parents (dont son père, qui interprète le rôle principal de François), son jeune fils, sa sœur et les enfants de celle-ci sont de la troupe, au milieu de comédiens qui font leurs débuts au cinéma à l'exception d'Adèle Haenel (César 2015 de la meilleure actrice pour LES COMBATTANTS), qui interprète Mona, et de l'acteur Marc Barbé, qui joue Déloyal.

"J’ai grandi dans le milieu dont parle mon film, le milieu du théâtre itinérant", explique Léa Fehner, 34 ans. "Dans les années 90, mes parents se sont embarqués dans cette aventure avec une dizaine de caravanes, un chapiteau, une troupe bigarrée et fantasque et ils ont sillonné la France pour faire du théâtre. Étrangement, quand j’ai décidé à mon tour de raconter des histoires, je crois que j’ai quitté ce milieu pour celui du cinéma parce que j’avais la trouille". Elle y revient donc, en mélangeant cinéma et spectacle vivant, dans un film riche de jolis moments et de scènes moins réussies.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"C'est un théâtre ici, pas un cirque" (François, le chef de la troupe, réclamant un peu d'ordre).

 

LES OGRES

(France, 2h24)

Réalisation: Léa Fehner

Avec Adèle Haenel, Marc Barbé, François Fehner

(Sortie le 16 mars 2016)