Seconde chance
Rédemption, pardon, seconde chance, nouveau départ: il y a plus de 40 ans, dans DEUX HOMMES DANS LA VILLE
(1973), José Giovanni abordait le sujet au travers de l’histoire d’un ancien détenu (Alain Delon) qui voulait se réinsérer dans la société grâce à un éducateur (Jean Gabin) mais était harcelé par
un policier revanchard (Michel Bouquet).
Le réalisateur Rachid Bouchareb a racheté les droits du film pour en faire un remake, tourné aux Etats-Unis, LA VOIE DE L’ENNEMI, avec Forest Whitaker, Brenda Blethyn et Harvey Keitel dans les
trois rôles principaux.
Mais très vite il n’a gardé que le trio de personnages et la trame de l’histoire, pour faire un film plus personnel, ''loin d’un remake pur et dur'', explique-t-il.
Le film de Giovanni était engagé politiquement contre la peine de mort, débat de société en France dans les années 70. Rachid Bouchareb a décidé de transposer l’histoire à l’époque contemporaine,
au Nouveau-Mexique, et de s’intéresser à la question de l’immigration, légale ou clandestine.
Après avoir passé 18 ans en prison pour le meurtre du shérif adjoint, William Garnett (Forest Whitaker), ancien caïd d’un gang de trafiquants de drogue, est libéré pour bonne conduite trois ans
avant la fin de sa peine. Derrière les barreaux il est devenu un détenu modèle, a passé son bac et s’est converti à l’islam.
Pendant trois ans, il est libre mais reste sous surveillance, avec assignation à résidence, horaires de couvre-feu, compte en banque surveillé et interdiction de revoir ses anciens
complices.
Noir, musulman, repris de justice: il cumule les handicaps au sein d’une société a priori hostile et doit faire preuve de sang-froid pour ne pas craquer. Cela pourrait être pire: il pourrait être
homosexuel... Mais non: il s’éprend d’une employée de banque latino-américaine, Teresa, et l’invite à prendre un verre.
Il trouve un travail, achète une moto, envisage de fonder un foyer avec Teresa, commence à se fabriquer une nouvelle vie, dans cette petite
ville de Deming, près de la frontière mexicaine, où il doit passer encore trois ans.
Il est aidé, dans ses efforts de réinsertion, par son agent de probation (Brenda Blethyn), sévère mais juste, qui croit sincèrement à la confiance mutuelle et à la bonne volonté de ceux qui
veulent s’en sortir. Le soir, sur sa terrasse, elle boit des Corona en écoutant du Barbara –c’est donc une policière plutôt cool.
Beaucoup moins sympa est le shérif local, Bill Agati (Harvey Keitel), un vieux de la vieille qui en veut toujours à Garnett d’avoir tué son adjoint 20 ans auparavant et ne croit pas à sa
rédemption. Malgré l’appui de son agent de probation, l’ancien détenu va devoir affronter les provocations et l’esprit revanchard du shérif...
''Je crois au destin, au mektoub. Quand on a mal enclenché sa vie, il est parfois impossible d’en changer le déroulement implacable'', dit Rachid Bouchareb. ''Il y a les damnés de la terre. Dans
ce sens le titre du film, LA VOIE DE L’ENNEMI, est symbolique. L’ennemi est intérieur. Garnett est en effet son pire ennemi. Et c’est ça le cœur du film''.
Tout en violence contenue, en maîtrise de sa colère intérieure, doux dehors et volcanique dedans, Forest Whitaker, costume et cravate à la Malcolm X, porte le film sur ses épaules.
Harvey Keitel colle très bien à un rôle un peu caricatural, et l’actrice anglaise Brenda
Blethyn –peu connue du grand public malgré son Prix d’interprétation à Cannes en 1996 dans la Palme d’or SECRETS ET MENSONGES, de Mike Leigh– est remarquable.
Rachid Bouchareb, qui avait connu le succès public avec INDIGÈNES, primé à Cannes en
2006 (Prix d’interprétation masculine collectif), a réussi son ''rêve américain'' en enquêtant beaucoup sur place, à la frontière américano-mexicaine, avant de se lancer dans la réalisation du
film.
Celui-ci a une ambiance particulière, entre polar psychologique et western moderne, au rythme lent, qui traîne un peu en longueur mais vaut par la tension permanente entre les personnages.
On se prend bien sûr d’empathie pour Forest Whitaker, en se demandant comment ça va finir: une fin heureuse comme dans les films populaires, une fin dramatique comme dans les films intellos, ni
l’une ni l’autre ou les deux à la fois?...
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
''Sans confiance, il n’y a pas de progrès possible. Pour personne'' (Brenda Blethyn à Harvey Keitel).
LA VOIE DE L'ENNEMI
(France, 1h58)
Réalisation: Rachid Bouchareb
Avec Forest Whitaker, Harvey Keitel, Brenda Blethyn
(Sortie le 7 mai 2014)